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XÉNOPHON.

La Cyropédie.


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LIVRE PREMIER.

Chapitre premier. J’observais un jour combien de démocraties ont été renversées par des hommes qui préféraient tout autre gouvernement, combien de monarchies et d’oligarchies ont été détruites par des factions populaires, combien d’ambitieux ont été dépouillés de la souveraine puissance qu’ils venaient d’usurper, et combien l’on admire le bonheur et l’habileté de ceux qui ont su s’y maintenir même peu de temps. Je considérais ensuite que dans les maisons des particuliers, composées les unes d’un nombreux domestique, les autres d’un petit nombre de serviteurs, les chefs ne savent pas commander, même à ce petit nombre. Je remarquais, d’un autre côté, que les bœufs, les chevaux se laissent conduire par ceux qui les soignent ; qu’en général tous ceux qu’on appelle pasteurs sont justement réputés maîtres des animaux confiés à leur garde. Je voyais que ces animaux leur obéissent plus volontiers que les hommes à ceux qui les gouvernent ; car les troupeaux suivent le chemin que leur indique le berger ; ils paissent dans les champs où il les mène, et respectent ceux qu’il leur interdit. Ils le laissent user à son gré du profit qu’ils lui rapportent : jamais on ne vit un troupeau se révolter contre le pasteur, soit en cessant de lui obéir, soit en le privant de son revenu. S’ils sont méchans, c’est pour tout autre que le maître qui les gouverne et qui vit à leurs dépens, tandis que les hommes ne s’élèvent contre personne avec plus de violence que contre ceux en qui ils aperçoivent le projet de dominer. Je concluais de ces réflexions qu’il n’est pas pour l’homme d’animal plus difficile à gouverner que l’homme.

Mais quand je considérai que le Perse Cyrus maintint sous ses lois un grand nombre d’hommes, de cités, de nations, alors contraint de changer d’avis, je reconnus qu’il n’est ni impossible, ni même difficile, avec de l’adresse, de commander à des hommes. En effet, on a vu des peuples éloignés des états de Cyrus, de plusieurs journées ou de plusieurs mois de chemin, qui ne l’avaient pas même vu ou qui désespéraient de le voir, reconnaître volontairement son empire. Aussi a‑t‑il éclipsé tous les souverains que la naissance ou le droit de conquête a placés sur le trône. Le roi des Scythes, maître d’un peuple nombreux, n’oserait tenter de reculer ses frontières ; il s’estime heureux de pouvoir contenir ses sujets naturels. On doit dire la même chose du