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XÉNOPHON, LIV. VII.

esclaves, on a pris des bestiaux, dont vous avez eu votre part. Depuis que nous avons opposé de la cavalerie à nos ennemis, nous n’en avons pas revu un seul ; jusque-là leur cavalerie et leurs armés à la légère nous poursuivaient avec audace ; ils nous empêchaient de nous disperser, et de nous procurer par là plus de vivres. Si Seuthès, qui vous a valu cette sécurité, ne vous a pas payé bien exactement votre solde, comptez-vous pour rien la tranquillité dont vous avez joui ? Regardez-vous son alliance comme un grand malheur qui vous soit arrivé, et croyez-vous que pour l’avoir négociée je mérite de ne pas sortir en vie de vos mains ? Comment vous retirez-vous aujourd’hui ? N’avez-vous pas passé votre hiver dans la plus grande abondance de tout ce qui est nécessaire à la vie ? N’emportez-vous pas de plus ce qui vous a été payé par Seuthès ? car vous avez vécu aux dépens de l’ennemi, et quoique vous fussiez au milieu de son pays, il ne vous a pas tué un homme, il n’a pas fait un seul de vous prisonnier. Ne vous reste-t-il pas ce que vous avez acquis de gloire en Asie contre les barbares, et n’y avez-vous pas ajouté celle d’avoir vaincu les Thraces à qui vous avez fait la guerre en Europe ? Oui, j’ose vous dire que vous devez rendre grâces aux Dieux comme d’une faveur insigne, de ces prétendus malheurs que vous me reprochez, et qui vous irritent contre moi. Telle est votre position actuelle. Considérez la mienne, je vous en conjure par les immortels. Lorsque je levai l’ancre pour retourner à Athènes, j’emportais les louanges dont vous me combliez tous ; j’espérais jouir de quelque gloire chez le reste des Grecs, d’après l’opinion que vous leur donneriez de moi ; j’avais la confiance des Lacédémoniens, sans quoi ils ne m’auraient pas renvoyé vers vous. Je pars maintenant calomnié par vous près de ces mêmes Lacédemoniens, parce que je vous suis trop attaché, haï de Seuthès, de ce Seuthès à qui j’ai rendu avec vous les plus grands services, chez qui j’espérais trouver une retraite glorieuse pour moi et pour mes enfans, si j’en avais jamais ; et comment me jugez-vous aujourd’hui vous-mêmes qui m’avez fait tant d’ennemis cruels et plus puissans que moi, vous, dis-je, pour la prospérité desquels je n’ai cessé jamais, et je ne cesse pas encore de prendre des soins et de faire les derniers efforts ? Vous me tenez en votre pouvoir ; je n’ai point cherché à m’évader, ni à vous échapper par une honteuse fuite. Mais si vous me traitez comme vous l’annoncez, sachez que vous mettrez à mort un homme qui, sans calculer si c’était son devoir ou celui d’un autre, a souvent veillé pour votre salut, a essuyé à votre tête mille fatigues et couru encore plus de dangers ; qui, par la faveur des Dieux, a érigé avec vous nombre de trophées des armes des barbares, et qui ne vous a résisté de tout son pouvoir que pour vous empêcher de vous faire un ennemi d’aucun des Grecs. Vous pouvez maintenant aller où vous voudrez par terre et par mer. Vous ne trouverez nulle part une accusation intentée contre vous, et lorsqu’aujourd’hui la fortune vous rit, que vous allez mettre à la voile pour cette Asie, où vous aspirez depuis si long-temps à porter la guerre ; lorsque le peuple le plus puissant implore votre secours, qu’on vous donne une solde, et que les Lacédémoniens, qui passent maintenant pour la première nation de la Grèce, viennent vous chercher et se mettre à votre tête, vous croyez devoir saisir