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XÉNOPHON, LIV. VII.

bles que les gens de mer ont à bord dans des caisses de bois. Après avoir soumis cette contrée, on revint sur ses pas. Seuthès avait alors une armée plus nombreuse que celle des Grecs ; car il avait recruté beaucoup plus d’Odryssiens encore qu’auparavant ; ils étaient descendus de leurs montagnes pour le joindre, et tous les peuples qu’il soumettait prenaient aussitôt parti dans ses troupes. On campait dans une plaine au-dessus de Selymbrie, à la distance de cinquante stades environ de la mer, et il n’était pas mention de solde. Les soldats étaient furieux contre Xénophon, et Seuthès ne le traitait plus avec la même amitié. Toutes les fois que ce général venait le trouver et voulait conférer avec lui, il se trouvait des prétextes pour différer de lui donner audience.

Au bout de deux mois environ, Charmin, Lacédémonien, et Polynice, viennent de la part de Thimbron ; ils annoncent que les Lacédémoniens ont résolu de faire la guerre à Tissapherne ; que Thimbron a mis à la voile pour cette expédition ; qu’il a besoin de l’armée grecque, et qu’il promet à chaque soldat, pour solde, un darique par mois, le double à un chef de lochos, le quadruple à un général. Dès que ces Lacédémoniens furent arrivés, Héraclide, informé qu’ils devaient aller au camp, dit à Seuthès qu’il ne pouvait rien lui arriver de plus heureux. « Les Lacédémoniens ont besoin des troupes grecques, et vous n’en savez plus que faire ; en les leur rendant, vous obligerez ce peuple puissant, et les Grecs, cessant de vous demander la solde qui leur est due, sortiront de vos états. »

Seuthès ayant entendu ces raisons, ordonne qu’on lui amène les Lacédémoniens. Ayant appris d’eux-mêmes qu’ils vont à l’armée, il leur dit qu’il la leur rend avec plaisir, et qu’il veut être l’ami et l’allié des Lacédémoniens ; il les invite à un festin, et les reçoit avec magnificence ; il ne prie à ce repas ni Xénophon, ni aucun autre des généraux ; et les Lacédémoniens lui ayant demandé quel homme était Xénophon : « Ce n’est pas un homme méchant d’ailleurs, répondit Seuthès ; mais il n’aime que ses soldats, et il en fait plus mal ses affaires. — Mais, reprirent les Lacédémoniens, a-t-il le talent de gouverner l’esprit du soldat ? — Très fort, répliqua Héraclide. — Ne s’opposera-t-il pas, dirent ceux-ci, à ce que nous emmenions l’armée ? — Si vous voulez, répondit Héraclide, la convoquer et lui promettre une solde, les soldats tiendront peu de compte de Xénophon et courront après vous. — Mais comment les assembler, objectèrent les Lacédémoniens ? — Nous vous conduirons, dit Héraclide, demain de grand matin à leur camp ; je suis sûr que dès qu’ils vous verront, ils se réuniront avec joie autour de vous. » Ainsi finit cette journée.

Le lendemain, Seuthès et Héraclide mènent les Lacédémoniens à l’armée ; elle s’assemble : les Lacédémoniens dirent aux soldats que Sparte avait résolu de faire la guerre à Tissapherne, « à ce satrape dont vous avez vous-mêmes à vous plaindre. Si vous voulez y marcher avec nous, vous, vous vengerez de votre ennemi, et recevrez pour solde, chaque soldat, un darique par mois ; chaque chef de lochos, le double ; chaque général, le quadruple. » Les soldats écoutèrent avec plaisir ces propositions. Aussitôt je ne sais quel Arcadien se leva pour déclamer contre Xénophon. Seuthès était présent ; il voulait savoir ce qu’on déciderait, et se tenait à portée d’entendre ; il avait son interprète avec lui, et d’ailleurs il comprenait lui-même assez bien le grec. L’Arcardien commença