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XÉNOPHON, LIV. VII.

tance. » Xénophon lui demanda : « Jusqu’à quelle distance de la mer prétendez-vous que l’armée vous suive ? — Jamais, répondit Seuthès, à plus de sept journées de chemin, et nous nous en tiendrons presque toujours plus près. »

Il fut permis ensuite à qui voulut de prendre la parole. Nombre de Grecs dirent que Seuthès faisait des propositions tout-à-fait avantageuses, qu’on était en hiver, que ceux qui auraient le dessein de s’embarquer pour retourner dans leur patrie, ne le pourraient point dans cette saison ; qu’il n’était pas plus possible de rester en pays ami, puisqu’on n’y subsisterait qu’à prix d’argent, et qu’il paraissait plus dangereux de cantonner dans le pays ennemi séparément de Seuthès qu’avec lui ; qu’ils regardaient dans ces circonstances comme un grand bonheur de trouver un prince qui leur offrit de plus une solde. Xénophon dit alors : « Si quelque Grec a des objections à faire, qu’il parle, sinon allons aux voix pour arrêter ici. » Personne n’ayant fait d’opposition, on recueillit les suffrages, et le traité fut approuvé. Xénophon annonça aussitôt à Seuthès que l’armée entrait à son service.

Les soldats cantonnèrent ensuite, par divisions ; Seuthès invita les généraux et les chefs de lochos à souper dans le village voisin, qu’il occupait. Quand ils vinrent pour se mettre à table et qu’ils furent à la porte de ce Thrace, ils y trouvèrent un certain Héraclide de Maronée. Il aborda tous ceux qu’il croyait en état de faire quelque présent à Seuthès ; il s’adressa d’abord à des habitans de Parium qui venaient négocier un traité d’alliance entre leur patrie et Médoce, roi des Odryssiens, et qui portaient des dons à ce monarque et à son épouse. Héraclide leur représenta que Médoce régnait dans la Thrace supérieure à plus de douze journées de la mer, et que Seuthès, aidé de tels auxiliaires, allait se rendre maître des bords de la Propontide. « Lorsqu’il sera votre voisin, il aura plus de moyens que qui que ce soit de vous faire du bien et du mal. Si vous raisonnez sensément, vous lui offrirez tous ces présens que vous portez à Médoce ; vous retirerez plus d’avantage de votre libéralité en l’exerçant ici qu’en allant chercher un prince qui habite loin de votre patrie. » Il les persuada par de tels discours, puis il s’approcha de Timasion Dardanien, ayant ouï dire que ce général avait des vases précieux et de riches tapis ourdis dans le pays des Barbares. Il lui assura qu’il était d’usage que les convives invités par Seuthès lui fissent des présens. « Quand il aura acquis un grand pouvoir, il sera en état ou de vous faire rentrer dans votre patrie ou de vous enrichir si vous restez dans son royaume. »

Telles étaient les sollicitations d’Héraclide à tous ceux qu’il abordait. Il vint aussi à Xénophon, et lui dit : « Vous êtes de la ville la plus considérable de la Grèce, et Seuthès a de vous la plus grande opinion. Vous voudrez probablement posséder dans ce pays-ci des villes et des domaines, comme ont fait beaucoup d’autres Grecs. Il convient donc que vous offriez à Seuthès les dons les plus magnifiques. Je vous donne ce conseil par bienveillance, car je suis certain que plus les présens que vous allez faire surpasseront ceux des autres convives, plus Seuthès se piquera de vous distinguer d’eux dans la distribution de ses bienfaits, et voudra que vous teniez de lui des avantages plus considérables. » Cet avis mit Xénophon dans l’embarras, car il était repassé de Parium en Europe, n’ayant qu’un jeune esclave et l’argent qu’il lui fallait pour sa route.