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XÉNOPHON, LIV. VI.

un navire à Héraclée, et s’était évadé de cette ville en fugitif. C’était pour consulter les Dieux sur le départ de l’armée, qu’on sacrifiait : on ne trouva point dans les entrailles des victimes des signes favorables ; on demeura donc au camp ce jour-là. Il y eut des Grecs qui osèrent dire que Xénophon, qui voulait fonder une ville dans la presqu’île de Calpé, avait gagné le devin, et l’avait engagé à répandre le bruit que les Dieux s’opposaient au départ. Ce général fit publier par un héraut que qui voudrait, pourrait assister au sacrifice qu’on ferait le lendemain, et que s’il se trouvait quelque devin dans l’armée, il eût à s’y rendre pour observer avec lui les entrailles : le sacrifice commença ; beaucoup de spectateurs entouraient l’autel ; on immola en vain jusqu’à trois victimes ; on ne put y trouver de signes heureux, qui autorisassent la marche de l’armée ; les soldats s’en affligèrent ; car ils avaient consommé les vivres qu’ils avaient apportés, et il n’y avait point de marché où ils pussent en acheter.

L’armée s’étant assemblée ensuite, Xénophon tint encore ce discours : « Vous en êtes témoins, soldats, les Immortels s’opposent à notre départ ; je vous vois manquer de vivres ; il me paraît donc nécessaire de faire de nouveaux sacrifices, pour savoir si nous devons en aller prendre. » Un Grec s’éleva alors et dit : « Ce n’est pas sans fondement que les entrailles des victimes nous empêchent de partir. J’ai su, des matelots d’un navire qui aborda hier ici par hasard, que Cléandre doit venir de la ville de Byzance dont il est gouverneur, et nous amener des galères et des bâtimens de transport. » Tout le monde fut alors d’avis d’attendre cette flotte ; mais il était de toute nécessité de sortir du camp pour se procurer des provisions. On immola encore, pour en obtenir la permission, jusqu’à trois victimes : les Dieux la refusèrent constamment. Déjà les soldats allaient à la tente de Xénophon, et criaient qu’ils n’avaient pas de quoi manger. Ce général s’obstina, et répondit qu’il ne mènerait point hors du camp l’armée, tant qu’il n’y aurait pas eu de présages heureux.

Le lendemain, on fit un nouveau sacrifice, et l’armée presque entière, attirée par l’intérêt que chacun prenait à l’événement, formait un cercle autour des victimes ; on finit par en manquer. Les généraux ne conduisirent point les troupes hors de la ligne, et convoquèrent les soldats ; Xénophon leur dit : « L’ennemi est sans doute rassemblé, et nous met dans la nécessité de le combattre ; si donc nous laissions nos équipages dans le poste de Calpé, fortifié par la nature, et marchions en armes comme pour livrer bataille, nous trouverions probablement dans les entrailles des victimes des signes plus favorables. » À ces mots les Grecs s’écrièrent qu’il fallait ne rien transporter dans ce lieu funeste, mais sacrifier au plus vite. On n’avait point de menu bétail ; on immola des bœufs d’attelage, qu’on acheta. Xénophon recommanda à Cléanor, Arcadien, de tout préparer avec zèle, pour que rien ne retardât la marche, si les Dieux l’approuvaient ; mais quelques soins qu’on eût pris, on ne put obtenir des présages heureux.

Néon avait succédé au généralat de Chirisophe, et commandait sa division ; voyant la disette extrême où l’armée était réduite, il voulut faire plaisir aux Grecs, et ayant trouvé un habitant d’Héraclée, qui disait connaître des villages où l’on pourrait prendre des vivres, à peu de distance du camp, il fit