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XÉNOPHON, LIV. VI.

noncé alors vous-mêmes que c’était avec justice que je frappais les soldats en faute ? Vous n’aviez point, comme maintenant, de petites pierres en main pour aller au scrutin ; vous teniez vos armes ; vous nous entouriez et pouviez secourir ceux que je corrigeais ; mais, par Jupiter, vous ne preniez pas leur parti, et vous ne m’aidiez pas non plus à châtier celui qui quittait son rang. Par cette connivence, vous avez enhardi contre moi les plus mauvais soldats, et avez autorisé les airs de fierté qu’ils se donnent ; car si vous vouliez le remarquer, vous trouveriez, j’en suis persuadé, que ceux qui ont témoigné le plus de lâcheté alors, montrent aujourd’hui le plus d’insolence : Boïscus, cet athlète thessalien, prétendait alors, comme malade, devoir être dispensé de porter son bouclier ; c’est lui, à ce que j’entends dire, qui vient de piller beaucoup d’habitans de Cotyore. Si vous prenez un parti sensé sur cet attentat, vous en userez avec ce voleur tout autrement qu’un en use avec les chiens : on met à l’attache pendant le jour ceux qui sont méchans, et on ne les lâche que la nuit. Pour lui, la prudence exige que la nuit vous le teniez dans les fers, et le laissiez jouir, pendant le jour seulement, de sa liberté. Mais poursuivit Xénophon, j’ai droit de m’étonner de ce que vous ne vous rappelez et ne citez de moi que ce qui a pu me rendre odieux à quelques-uns d’entre vous. S’il en est, au contraire, à qui j’aie porté des secours contre la rigueur du froid, que j’aie défendus contre l’ennemi, à qui j’aie été utile dans leurs détresses et dans leurs maladies, personne n’en rappelle la mémoire. Si j’ai loué ceux qui faisaient une belle action, et honoré, autant qu’il était en moi, les braves, on ne s’en souvient pas davantage. Il est beau cependant, il est juste ; que dis-je ! c’est un devoir sacré et agréable de conserver le souvenir des bienfaits plutôt que celui des injures. »

Tous les Grecs se levèrent à ces mots ; ils se rappelèrent les uns aux autres ce qu’ils devaient à Xénophon, et la recherche qu’on avait faite de sa conduite finit ainsi par tourner à sa gloire.




LIVRE SIXIÈME.

Pendant le séjour que l’armée fit dans le camp sous Cotyore, les soldats vécurent, les uns de ce qu’on leur vendait au marché, les autres, de la maraude qu’ils faisaient en Paphlagonie. Les Paphlagoniens, réciproquement, saisissaient l’occasion d’enlever tout ce qui s’écartait du camp ; ils tâchaient aussi de faire quelque mal la nuit aux Grecs qui s’étaient baraqués un peu loin des autres. Ces hostilités augmentèrent l’animosité mutuelle de ce peuple et des soldats. Corylas, qui se trouvait alors commander en Paphlagonie, envoie aux Grecs des députés, montés sur de beaux chevaux, et vêtus d’habits magnifiques ; ils annoncent que Corylas est disposé à ne plus inquiéter l’armée, si elle respecte elle-même le pays. Les généraux répondirent qu’ils en délibéreraient avec elle, et donnèrent l’hospitalité aux députés. Ils appelèrent aussi ceux qu’il parut le plus convenable d’inviter ; puis ayant immolé aux Dieux des bœufs et d’autres bestiaux qu’on avait pris, on servit un assez beau repas ; on soupa, couché sur l’herbe, et l’on but dans des coupes de corne, qu’on trouvait dans le pays.

Quand on eut fait les libations et chanté le péan, des Thraces se levèrent d’abord et dansèrent tout armés au son