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solde de Darius. Soit que Memnon eût été traversé par les autres généraux dans l’usage qu’il en voulut faire, soit qu’il y eût de la mauvaise foi de la part de ces Grecs, ce corps resta immobile pendant le combat : à peine jeta-t-il des flèches.

La cavalerie étant dispersée, Alexandre conduisit sa phalange contre cette seconde ligne, en même temps qu’il la fit tourner par ses escadrons. Suivant Arrien, ils furent taillés en pièces, excepté deux mille prisonniers, quoique d’autres disent avec plus de vraisemblance qu’ils se rendirent aux Macédoniens. Il n’y eut que mille hommes de tués dans la cavalerie persane, Alexandre ayant cessé de la poursuivre. Les pertes que fit ce prince ne furent pas considérables. On trouva cependant vingt-cinq de ses compagnons parmi les morts, et l’on sait qu’il leur fit ériger des statues de bronze.

Le passage du Granique tel qu’Alexandre l’exécuta, malgré les obstacles que Memnon de Rhodes avait su lui opposer, n’est pas un fait d’armes ordinaire. D’abord il prend la précaution de rompre le courant avec ses escadrons pour faciliter la marche de son infanterie ; et comme il s’attend à rencontrer une vigoureuse résistance sur le rivage, il coupe le fleuve obliquement. Cette manœuvre le met en état d’accabler l’ennemi de toutes les armes de jet dont sa colonne est garnie, et lui permet de former promptement sa ligne de bataille. Il paraît en effet, d’après le rapport unanime des historiens, que les Perses déployèrent une grande valeur, et que la victoire d’Alexandre fut bien moins le prix de son audacieuse intrépidité, que de ses dispositions savantes.

Il y a dans les fastes militaires mille exemples qui prouvent que les succès d’une guerre ne dépendent point du courage des troupes ; et Memnon, si justement admiré pour ses rares talens dans la science des armes, commit la faute de tenir son infanterie dans l’inaction au commencement de la bataille, de sorte que les trente-cinq mille hommes d’Alexandre, regardés comme les meilleures troupes du monde, n’eurent affaire qu’à vingt mille chevaux.




CHAPITRE X.


Siége d’Halicarnasse. — Darius se décide à porter la guerre en Macédoine. — Memnon de Rhodes meurt au moment d’exécuter ce projet. — Bataille d’Issus. — Plan suivi par Alexandre pour la conquête de l’Asie.


Alexandre profita de ses avantages avec autant de célérité que de sagesse. Les débris de l’armée battue s’étaient réfugiés à Milet ; il emporta cette ville d’assaut, laissa aux habitans la vie et la liberté, et renvoya sa flotte qu’il ne pouvait conserver faute d’argent, ou sans crainte de compromettre sa gloire dans un combat naval. L’Éolie et l’Ionie se soumirent ; il s’avança ensuite vers la Carie, résolu de s’emparer d’Halicarnasse.

Memnon connaissant toute l’importance de cette place, s’y était jeté avec de bonnes troupes : aussi l’histoire rapporte-t-elle peu de siéges où l’on ait poussé plus loin le courage et l’acharnement. Il fallut combler un fossé large de quarante-cinq pieds et de vingt-deux de profondeur ; on y parvint au moyen de trois tortues. Les assiégés firent de vigoureuses sorties, incendièrent plusieurs fois les machines qui détruisaient leurs murailles et soutinrent vigoureusement l’assaut livré par les Macédoniens qui s’étaient rendus maîtres des brèches.

Un second mur formé en croissant, contre lequel il fallut faire de nouvelles attaques, leur coûta beaucoup de monde, parce que du haut des tours placées de côté et d’autre, les troupes de Mem-