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XÉNOPHON, LIV. V.

eussions aucun de nous en plaindre, d’autant que nous ne vous avons pas donné le moindre exemple d’hostilités et d’insultes. Les citoyens de cette ville de Cotyore sont une de nos colonies ; nous leur avons donné le domaine qu’ils cultivent, après l’avoir conquis sur les Barbares : voilà pourquoi ils nous paient, ainsi que les habitans de Cérasunte et ceux de Trébizonde, le tribut que nous leur avons imposé. Quelque mal que vous fassiez à ces peuples, la ville de Sinope croit le ressentir. Nous avons entendu dire que vous étiez entrés à main armée dans Cotyore ; que vous aviez logé quelques soldats dans la ville, et que vous preniez, sur son territoire, ce dont vous aviez besoin, par violence et non de gré à gré. Nous n’approuvons point votre conduite, et si vous persistez, vous nous obligerez de nous allier à Corylas, aux Paphlagoniens, et à tous les autres peuples avec lesquels nous pourrons nous liguer. »

Xénophon se leva, et répondit ainsi au nom de l’armée : « Sinopéens, nous sommes venus ici satisfaits d’avoir sauvé nos jours et nos armes. Piller, nous charger de butin, et combattre en même temps nos ennemis, nous aurait été impossible. Nous sommes enfin arrivés jusqu’à des villes grecques : à Trébizonde, où l’on nous apportait des vivres à acheter, nous n’en avons pris qu’en payant. Les citoyens de cette ville ont rendu des honneurs à l’armée, et lui ont offert les présens de l’hospitalité : nous nous sommes acquittés envers eux par des honneurs pareils ; nous avons épargné ceux des Barbares dont ils étaient alliés ; nous avons attaqué ceux de leurs ennemis contre lesquels ils nous ont conduits eux-mêmes, et leur avons fait tout le mal que nous avons pu. Interrogez des habitans de Trébizonde ; demandez-leur comment nous en avons agi avec eux : il s’en trouve ici que par amitié leur ville nous a donnés pour guides. Partout, au contraire, où nous arrivons, et ne trouvons point de vivres à acheter, que le pays soit grec ou barbare, nous prenons ce dont nous avons besoin, non par licence, mais par nécessité. Cette nécessité nous a réduits à faire la guerre aux Carduques, aux Chaldéens, aux Taoques, quoiqu’ils ne fussent point sujets d’Artaxerxès, et que nous les regardassions comme des ennemis redoutables ; car ils ne voulaient point nous faire trouver un marché garni de vivres. Les Macrons, au contraire, nous en ont fourni à prix d’argent, comme ils ont pu ; quoique ce fussent aussi des Barbares, nous les avons traités comme amis, et nous n’avons rien pris chez eux par violence. Si nous en avons usé autrement avec les habitans de Cotyore, que vous dites dépendre de vous, ils ne doivent en accuser qu’eux-mêmes ; ils ne se sont point conduits avec nous comme amis ; ils ont fermé leurs portes, et n’ont voulu ni nous laisser entrer dans la place ni nous apporter au camp des vivres pour notre argent ; ils en ont rejeté la faute sur le gouverneur que vous leur avez donné. Je passe au reproche que vous nous faites d’être entrés par force et d’occuper leurs maisons. Nous les avons priés de loger nos malades ; comme on n’ouvrait point les portes, nous sommes entrés dans la place par le côté même où l’on refusait de nous admettre. Nous n’y avons fait aucun autre acte de violence, mais nos malades sont à l’abri des injures de l’air, dans des maisons où ils vivent à leurs propres frais. Pour qu’ils n’y soient pas à la disposi-