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XÉNOPHON, LIV. V.

peuplée ; elle est située sur le Pont-Euxin, dans le pays des Colques, et c’est une colonie des Sinopéens. Les Grecs y demeurèrent environ un mois sur le territoire de la Colchide, où ils s’écartaient pour piller. Les habitans de Trébizonde établirent un marché dans le camp des Grecs, les reçurent, et leur offrirent les présens de l’hospitalité, des bœufs, de la farine d’orge et du vin ; ils obtinrent même de l’armée qu’elle ménageât les Colques qui étaient les plus voisins, et habitaient la plaine : ceux-ci firent aussi des présens aux Grecs, et leur donnèrent surtout des bêtes à cornes. L’armée se prépara alors à faire aux Dieux les sacrifices qu’on leur avait voués, car il était venu assez de bœufs pour les immoler à Jupiter sauveur et à Hercule, et pour leur rendre grâces d’avoir conduit les Grecs en pays ami. On ne manquait pas non plus de victimes pour accomplir les promesses faites aux autres Dieux. On célébra des jeux et des combats gymniques sur la montagne où l’on campait, et l’on choisit Dracontius de Sparte pour faire préparer la lice et pour présider aux jeux : ce Grec avait été banni de sa patrie dès l’enfance, parce qu’il avait frappé avec un sabre court, à la lacédemonienne, et tué sans le vouloir un enfant de son âge.

Les sacrifices étant finis, on donna à Dracontius les peaux des victimes, et on lui dit de conduire les Grecs au lieu préparé pour la course. Il désigna la place même où on se trouvait. « Cette colline, dit-il, est excellente, et l’on peut y courir dans tous les sens qu’on voudra. — Mais, lui objecta-t-on, comment pourront lutter les athlètes sur un sol pierreux et dans un terrain planté d’arbres ? — Tant pis pour ceux qui tomberont, répondit Dracontius, ils s’en feront plus de mal. » Des enfans, dont la plupart étaient esclaves et prisonniers, s’exercèrent à la course du stade, et plus de soixante Crétois, à celle du dolique ; d’autres à la lutte, au pugilat, au pancrace. Le spectacle fut beau. Nombre de contendans étaient descendus dans l’arène ; ces regards de leurs compagnons enflammaient leur émulation. Il y eut aussi des courses de chevaux. Il fallait descendre du haut de la montagne au bord de la mer, et de là remonter jusqu’à l’autel. La plupart des chevaux s’abandonnèrent à la descente ; mais ce ne fut qu’avec peine et lentement qu’ils remontèrent ce coteau très escarpé. On entendait de toutes parts les clameurs, les ris et les exhortations mutuelles des Grecs.




LIVRE CINQUIÈME.

Dans les livres précédens on a lu tout ce que firent les Grecs, et pendant qu’ils marchèrent avec Cyrus, et lorsqu’ils se retirèrent après sa mort, jusqu’au jour où ils arrivèrent sur les bords de l’Euxin à Trebizonde, ville grecque. On a raconté comment ils s’acquittèrent envers les Dieux des sacrifices qu’ils avaient voué de leur faire dès qu’ils seraient en pays ami, en action de grâces de leur salut.

L’armée s’assembla ensuite, et on délibéra sur la route qui restait à faire. Antiléon de Thurium se leva le premier, et parla en ces termes : « Je suis las enfin, mes compagnons, de plier bagage, de marcher, de courir, de porter mes armes, d’observer mon rang, de monter la garde, de combattre sans cesse. Puisque nous voilà au bord de la mer, je veux ne plus essuyer ces fatigues, mais achever ma route sur un vaisseau et, étendu de mon long, arriver comme Ulysse en dormant dans la Grèce. » Il s’éleva un grand