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XÉNOPHON, LIV. III.

dit-il, quelque chose à ajouter à ce qu’a dit Xénophon, on le peut, et c’en est le moment ; mais je suis d’avis d’approuver sur-le-champ et d’arrêter ce qu’il propose : que ceux qui pensent comme moi lèvent la main. » Tous les Grecs la levèrent. Xénophon se releva et dit encore : « Écoutez-moi, soldats, je vais vous exposer les événemens qu’il convient, à ce qu’il me semble, de prévoir. Il est évident qu’il nous faut aller où nous pourrons avoir des vivres. J’entends dire qu’il y a de beaux villages à vingt stades au plus de notre camp. Je ne serais pas étonné que les ennemis nous suivissent pour nous harceler dans notre retraite, semblables à ces chiens timides qui courent après les passans et les mordent, s’ils le peuvent, mais qui fuient à leur tour dès qu’on les poursuit. L’ordre le plus sûr pour notre marche est peut-être de former avec l’infanterie pesamment armée une colonne à centre vide, afin que les bagages et les esclaves, étant au milieu, n’aient rien à craindre. Si nous désignions dès à présent qui dirigera la marche et commandera le front, qui veillera sur les deux flancs et qui sera à la queue ; lorsque les ennemis marcheront à nous, nous n’aurions point de délibération à faire, nous nous trouverions formés et en état de combattre. Quelqu’un a-t-il de meilleures dispositions à proposer, qu’on les adopte ; sinon qu’aujourd’hui Chirisophe marche à notre tête, d’autant qu’il est Lacédémonien ; que les deux plus anciens généraux s’occupent des deux flancs ; Timasion et moi, comme les plus jeunes, nous resterons à l’arrière-garde. Dans la suite, après avoir essayé de cet ordre de marche, nous pourrons toujours agiter, suivant les circonstances, ce qu’il y aura de plus avantageux pour nous. Si quelqu’un a de meilleures vues, qu’il parle. » Personne se s’opposant à celles de Xénophon, il reprit : « Que ceux donc qui approuvent lèvent la main. » Le décret passa. « Maintenant, dit Xénophon, il faut faire exactement, en nous retirant, ce qui vient d’être arrêté. Que celui d’entre vous qui veut revoir sa famille se souvienne de se conduire avec courage, car ç’en est le seul moyen ; que celui qui veut vivre tâche de vaincre, car les vainqueurs donnent la mort et les vaincus la reçoivent. J’en dis autant à qui désire des richesses : en remportant la victoire, on sauve son bien et l’on s’empare de celui de l’ennemi. »

Ce discours fini, toute l’armée se leva, et étant retournée au camp, brûla les voitures et les tentes. On se distribuait ce qu’on avait de superflu et ce dont un autre pouvait avoir besoin : on jeta le reste au feu, puis on dîna. Pendant que les Grecs prenaient ce repas, Mithradate approche du camp avec environ trente chevaux, fait appeler les généraux, et leur dit : « Grecs, j’étais, vous le savez, attaché à Cyrus ; maintenant je me sens de l’affection pour vous, et je passe ici ma vie dans les plus grandes frayeurs pour moi-même. Si je voyais donc que vous eussiez embrassé un parti salutaire, je vous rejoindrais avec toute ma suite. Dites-moi, ajouta-t-il, quel est votre projet. Vous parlez à votre ami, à un homme bien intentionné pour vous, qui voudrait partager vos entreprises. » Les généraux délibérèrent et résolurent de lui répondre ainsi (ce fut Chirisophe qui porta la parole) : « Notre dessein est de retourner en Grèce, et si l’on nous laisse passer, de ménager le plus que nous pourrons le pays que nous avons à traverser ; mais si l’on nous en barre le chemin, nous ferons tous nos efforts pour nous frayer une route les armes