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XÉNOPHON, LIV. III.

comme si nous avions le loisir de nous livrer au repos. Que fais-je moi-même ? D’où attends-je un général qui prenne le parti qu’exigent les circonstances, et jusqu’à quel âge dois-je différer de veiller moi-même à mon salut ? Car je n’ai pas l’air de vieillir beaucoup si je me rends aujourd’hui à l’ennemi. » D’après ces réflexions il se lève et appelle d’abord les chefs de lochos de la section de Proxène. Quand ils furent assemblés, il leur dit : « Braves chefs, je ne puis ni dormir (et sans doute vous ne dormiez pas plus que moi), ni rester plus long-temps couché, ayant devant les yeux la triste situation où nous sommes réduits ; car il est évident que nos ennemis n’ont voulu être en guerre ouverte avec nous qu’après avoir cru s’y être bien préparés, et personne de nous ne s’occupe des moyens de les repousser vigoureusement. Quel sort pensons-nous qui nous attende, si nous perdons courage et tombons dans les mains du roi, de ce prince inhumain qui, ne trouvant pas sa cruauté assouvie par la mort de son propre frère, en a mutilé le cadavre, a fait couper la tête et la main de Cyrus, et les a exposées en spectacle au haut d’une pique ? Quels supplices réserve-t-il, croyez-vous, pour nous, dont personne n’épouse ici les intérêts, et qui avons pris les armes pour le faire tomber du trône dans l’esclavage, ou même pour lui ôter, si nous pouvions, la vie ? Ne nous fera-t-il pas subir les plus honteuses tortures ? Ne cherchera-t-il pas tous les moyens d’inspirer au reste des mortels une terreur qui les détourne de porter la guerre au sein de ses états ? Il faut donc tout tenter pour ne pas tomber en son pouvoir. Tant qu’a duré le traité, je n’ai cessé de plaindre les Grecs et d’envier le bonheur d’Artaxerxès et des Perses. Je considérais l’immensité et la fertilité du pays que possédaient nos ennemis, l’abondance dans laquelle ils nageaient. Que d’esclaves ! que de bétail ! que d’or et d’habits magnifiques ! Tournant ensuite mes regards sur notre armée, je voyais qu’aucun de ces biens n’était à nous sans l’acheter. Je savais qu’il ne restait plus de quoi payer qu’à peu de nos soldats, et que nos sermens nous empêchaient tous de nous fournir du nécessaire, autrement que l’argent à la main. Souvent, d’après ces considérations, notre traité m’effrayait plus que ne m’effraie aujourd’hui la guerre. Puisque la convention est rompue par le fait des Perses, il me semble qu’ils ont mis fin en même temps, et aux outrages qu’il nous fallait essuyer d’eux, et aux soupçons continuels dans lesquels il nous fallait vivre. Tous les biens dont ils jouissaient ne sont pas plus à eux désormais qu’ils ne sont à nous. Comme les prix des jeux de la Grèce déposés entre les prétendans, ils appartiendront aux plus courageux. Les Dieux sont les arbitres de ce combat, et sans doute (car ils sont justes) ils se déclareront pour nous. Les Barbares les ont offensés par leurs parjures, et nous, lorsque nous nous sommes vus entourés de tant d’objets de tentation, nous nous sommes sévèrement abstenus de rien prendre par respect pour nos sermens et pour les immortels. Je crois donc que nous pouvons marcher au combat avec plus d’assurance que nos ennemis. Nous avons d’ailleurs plus qu’eux l’habitude et la force de supporter le froid, le chaud, la fatigue, et grâces au ciel, nos âmes sont d’une meilleure trempe. Les Barbares seront plus faciles que nous à blesser et à tuer si les Dieux nous accordent comme ci-devant la

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