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XÉNOPHON, LIV. I.

tion d’un général prudent. Tissapherne s’éloigna donc d’eux avec perte, et parvenu au camp des Grecs, il y rencontra le roi. Ayant joint leurs troupes et les ayant formées, ils marchèrent ensemble. Lorsqu’ils furent à la hauteur de la gauche des Grecs, ceux-ci craignirent qu’on ne les prît en flanc, et que se pliant des deux côtés sur eux, les Barbares ne les taillassent en pièces. Ils voulaient, par un quart de conversion, faire marcher leur aile gauche jusqu’à l’Euphrate et appuyer le derrière de leur ligne à ce fleuve. Pendant qu’ils s’y résolvaient, le roi reprit sa première position, et formant devant eux sa ligne, s’avança pour les attaquer comme il avait fait d’abord. Les Grecs voyant les Barbares près d’eux et rangés en bataille, chantèrent de nouveau le péan, et chargèrent avec encore plus d’ardeur que la première fois. Les Barbares ne les attendirent pas et s’enfuirent de plus loin qu’ils n’avaient fait à la charge précédente. Les Grecs les poursuivirent jusqu’à un village et s’y arrêtèrent. Car le village était dominé par une colline où s’étaient reformées les troupes du roi, non pas à la vérité l’infanterie ; mais la colline était couverte de cavalerie, et l’on ne pouvait savoir ce qui se passait derrière. On prétendait y voir l’étendard royal. C’est une aigle d’or déployant ses ailes et posée sur une pique.

Les Grecs s’étant avancés ensuite vers la colline, la cavalerie l’abandonna. Elle ne se retira pas tout entière à-la-fois ; mais par pelotons, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. La colline se dégarnissait peu à peu, et enfin tout disparut. Cléarque n’y voulut pas faire monter les Grecs. Il fit faire halte au bas, et envoya au sommet Lycius de Syracuse et un autre Grec, leur ordonnant de rapporter ce qu’ils auraient découvert au-delà du tertre. Lycius y poussa son cheval et revint dire qu’on voyait les ennemis fuir à toutes jambes. Ceci se passait presqu’au coucher du soleil. Les Grecs s’arrêtèrent et posèrent leurs armes à terre pour se reposer. Ils s’étonnaient que Cyrus ne parût point ou qu’il ne leur arrivât personne chargé de ses ordres. Car ils ignoraient que ce prince fût tué, et croyaient qu’il était à la poursuite des ennemis, ou qu’il s’était avancé pour s’emparer de quelque poste. Ils délibérèrent si restant où ils étaient, ils y feraient venir leurs équipages, ou s’ils se retireraient au camp. Ils se déterminèrent à ce dernier parti, et arrivèrent à leurs tentes vers l’heure du souper. Telle fut la fin de cette journée. Les Grecs trouvèrent la plupart de leurs effets et tous les vivres pillés. Les troupes du roi avaient fait aussi main-basse sur les caissons pleins de farine et de vin, dont Cyrus s’était pourvu pour en faire la distribution aux Grecs, s’il survenait par hasard à son armée une grande disette de vivres. On disait que ces caissons étaient au nombre de quatre cents. Par cette raison, la plupart des Grecs ne purent souper, et ils n’avaient pas dîné. Car avant qu’on prît un camp et qu’on envoyât le soldat faire ce repas, le roi avait paru. Voilà comment les Grecs passèrent cette nuit.


LIVRE DEUXIÈME.

On a vu, dans le livre précédent, comment Cyrus leva des troupes grecques lorsqu’il entreprit son expédition contre Artaxerxès. On y a lu tout ce qui se passa pendant la marche, les détails de la bataille, comment Cyrus fut tué, et comment les Grecs revenus à leur camp y passèrent la nuit, persuadés qu’ils avaient battu toutes les troupes du roi, et que Cyrus était en vie. À la pointe du jour, les généraux s’as-

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