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XÉNOPHON, LIV. I.

n’être prévenus ni par Cyrus ni par les Ciliciens, dont nous avons pillé les biens et fait un grand nombre esclaves. » Tel fut le discours de ce Grec. Après lui, Cléarque dit ce peu de mots :

« Qu’aucun de vous ne prétende que dans cette retraite je me charge du commandement. Je vois beaucoup de raisons qui m’en éloignent. Mais sachez que j’obéirai avec toute l’exactitude possible au chef que vous choisirez, et personne ne vous donnera plus que moi l’exemple de la subordination. » Un autre Grec se leva ensuite, et prenant la parole dit, qu’il fallait être bien simple pour demander à Cyrus ses vaisseaux, comme s’il renonçait à son entreprise, ou pour en espérer un guide lorsqu’on traversait ses projets. « Si nous devons nous fier au guide que nous donnera ce prince, pourquoi ne le pas prier lui-même de s’emparer pour nous des hauteurs qui commandent notre retraite ? Quant à moi je tremblerais de monter sur les vaisseaux qu’il nous fournirait, de peur qu’il ne les sacrifiât pour nous submerger dans les flots. Je tremblerais de suivre un guide donné par lui, de peur qu’il ne nous conduisît dans des défilés d’où il serait impossible de sortir. Je voudrais, si je pars contre le gré de Cyrus, pouvoir faire ma retraite à son insu, projet impossible ! Ce sont, je vous l’assure, des idées frivoles que tout ce qu’on vous a proposé jusqu’ici. Mon avis est qu’on envoie à ce prince Cléarque et une députation de gens capables ; qu’on l’interroge sur l’usage qu’il veut faire de nous. S’il ne s’agit que d’une expédition à-peu-près semblable à celles où il a employé ci-devant d’autres mercenaires, il faut le suivre et ne nous pas montrer plus lâches qu’eux ; mais si son entreprise est plus importante que la précédente, si elle nous expose à plus de fatigues et de dangers, il faudra que Cyrus nous persuade de le suivre ou que nous lui persuadions de nous renvoyer en pays ami. Alors s’il nous entraîne, nous marcherons avec zèle et mériterons son amitié ; si nous le quittons, nous nous retirerons avec sûreté. Que nos députés nous rapportent sa réponse. Nous délibérerons après l’avoir entendue. »

Cet avis l’emporta. On choisit des députés qu’on envoya avec Cléarque, et ils firent à Cyrus les questions arrêtées. Ce prince répondit qu’on lui avait rapporté qu’Abrocomas, son ennemi, était à la distance de douze marches en avant sur les bords de l’Euphrate, qu’il voulait marcher contre lui, le punir s’il le joignait. « S’il fuit, au contraire, nous délibérerons là sur ce qu’il y aura à faire. »

Les députés ayant entendu cette réponse, l’annoncèrent aux soldats. Ceux-ci soupçonnèrent bien que Cyrus les menait contre Artaxerxès. Ils résolurent cependant de le suivre. Comme ils demandaient une paie plus forte, Cyrus leur promit d’augmenter leur solde de moitié en sus, et de donner au lieu d’une darique par mois au soldat trois demi-dariques. Au reste, personne n’entendit dire alors, au moins publiquement, qu’on marchât contre le roi.

Au sortir de Tarse, Cyrus fit en deux marches dix parasanges et parvint au fleuve Sarus, large de trois plèthres. Le lendemain, en une marche de cinq parasanges, on arriva sur les bords du fleuve Pyrame, large d’un stade. De là en deux jours l’armée fit quinze parasanges et se trouva à Issus, dernière ville de la Cilicie. Elle est peuplée, grande, florissante et située sur le bord de la mer. On

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