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XÉNOPHON, LIV. I.

pées et élevées lui sert partout de fortification naturelle et l’entoure de la mer à la mer.

Descendant à travers cette plaine, Cyrus fit vingt-cinq parasanges en quatre jours de marche, et arriva à Tarse, ville de Cilicie, grande et riche, où Syennésis avait son palais. Elle est coupée en deux par un fleuve large de deux plèthres, nommé le Cydné. Les habitans l’avaient abandonnée et s’étaient réfugiés avec le roi dans un lieu fortifié sur la montagne. Il ne restait que ceux qui tenaient hôtellerie ; mais dans Soles et dans Issus, villes maritimes, le peuple n’avait point quitté ses habitations. Epyaxa, femme de Syennésis, était arrivée à Tarse cinq jours avant Cyrus ; Menon, en traversant les montagnes, avait perdu deux de ses lochos. On a prétendu que s’étant mis à piller, ils avaient été taillés en pièces par les Ciliciens ; d’autres ont dit, que, restés en arrière, ils n’avaient pu ni rejoindre le gros de la troupe, ni retrouver le chemin qu’il avait suivi, et qu’ils avaient péri en le cherchant. Ces deux lochos faisaient cent hoplites. Les autres Grecs, furieux de la perte de leurs camarades, pillèrent, à leur arrivée, la ville de Tarse et le palais. Dès que Cyrus fut entré dans la ville, il manda Syennésis. Celui-ci répondit qu’il ne s’était jamais remis entre les mains de plus fort que lui, et il ne voulut se rendre près de Cyrus qu’après que sa femme le lui eut persuadé, et qu’il eut reçu des sûretés. Les deux princes s’étant abouchés ensuite, Syennésis fournit à Cyrus beaucoup d’argent pour subvenir à l’entretien de son armée. Cyrus lui fit les présens qu’offrent les rois de Perse à ceux qu’ils veulent honorer, lui donna un cheval dont le mors était d’or massif, un collier, des brasselets de même matière, un cimeterre à poignée d’or, un habillement à la perse. Il lui promit qu’on ne pillerait plus la Cilicie, et lui permit de reprendre les esclaves qu’on avait enlevés à ses sujets, partout où il les retrouverait.

Cyrns et son armée séjournèrent vingt jours à Tarse ; car les soldats déclaraient qu’ils n’iraient pas plus en avant, soupçonnant déjà qu’on les menait contre le roi, et prétendant ne s’être point engagés pour cette entreprise. Cléarque le premier voulut forcer les siens d’avancer. Ceux-ci, dès qu’il commença à marcher, jetèrent des pierres sur lui et sur ses équipages ; peu s’en fallut qu’il ne fût lapidé. Ensuite ayant senti qu’il ne pouvait les contraindre à le suivre, il les assembla. D’abord il se tint long-temps debout, versant des larmes. Les soldats étonnés, le regardaient en silence. Puis il leur parla ainsi.

« Soldats, ne soyez point surpris que les circonstances présentes m’affligent. Je suis devenu hôte de Cyrus, et lorsque j’ai été banni de ma patrie, ce prince, outre plusieurs autres témoignages de son estime, m’a donné dix mille dariques. Je n’ai point réservé cet argent pour mon usage particulier ; je ne l’ai point employé à mes plaisirs. Il a été dépensé pour votre entretien. J’ai fait d’abord la guerre aux Thraces. Avec vous j’ai vengé la Grèce. Nous avons chassé de la Chersonèse ces barbares qui voulaient dépouiller les Grecs du territoire qu’ils y possèdent. Lorsque Cyrus m’a appelé, je vous ai menés à lui pour lui être utile, s’il avait besoin de moi, et reconnaître ainsi ses bienfaits. Puisque vous ne voulez plus le suivre, il faut ou que vous trahissant je reste ami de Cyrus, ou que trompant la confiance de ce prince, je lie mon sort au vôtre. Je ne sais si je choisis le parti le plus juste, mais je vous préférerai à mon bienfaiteur, et quelques malheurs qui

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