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THUCYDIDE, LIV. VIII.

armes que pour rendre la liberté aux Hellènes ; qu’on ne pouvait supposer qu’ils voulussent délivrer l’Hellade du joug des Athéniens, hellènes, et qu’ils ne voulussent pas la délivrer du joug de peuples qu’ils appelaient barbares, à moins que ceux-ci ne parvinssent un jour à les renverser eux-mêmes. Il lui conseillait donc de miner les deux états rivaux l’un par l’autre, et, une fois la puissance athénienne bien entamée, d’éloigner les Péloponnésiens de sa province.

Telles étaient aussi, en grande partie, les vues de Tissapherne, autant qu’on en pouvait juger par sa conduite. Il donna donc à Alcibiade toute sa confiance, charmé de l’excellence de ses conseils ; pourvut fort mal à la subsistance des Péloponnésiens, et sut les empêcher de combattre sur mer. Il leur répétait que la flotte phénicienne ne tarderait pas à venir, et qu’alors ils auraient dans les combats une supériorité décidée. Il ruina leurs affaires, détruisit la force de leur marine, devenue très puissante, et, dans tout le reste, se conduisit avec une mauvaise volonté si évidente qu’il était impossible de ne pas l’apercevoir.

Chap. 47. Alcibiade donnait ces conseils et à Tissapherne et au grand roi, quand il était auprès d’eux, croyant qu’il ne pouvait en donner de meilleurs ; et par là, en même temps, préparant son retour dans sa patrie, certain que, s’il ne la détruisait pas, il ne tiendrait qu’à lui de persuader un jour aux Athéniens de le rappeler : or, selon lui, le meilleur moyen de les y déterminer, c’était que l’on vît que Tissapherne était son ami. Le moyen réussit en effet. Les soldats athéniens de Samos comprenant qu’il jouissait d’un grand crédit auprès de ce satrape, ceux de leurs triérarques qui avaient le plus d’influence se prononcèrent pour la destruction de la démocratie. Ces dispositions venaient en partie des paroles qu’il faisait porter aux plus puissans d’entre les triérarques, les priant de dire aux plus honnêtes gens qu’il ne voulait rentrer dans son pays que pour y établir l’autorité du petit nombre, et non pour y soutenir le pouvoir des méchans et celui de la multitude qui l’avait chassé ; que son dessein était de leur concilier l’amitié de Tissapherne, et de gouverner avec eux ; mais ce qui les déterminait plus encore, c’est qu’ils avaient depuis long-temps les mêmes vues.

Chap. 48. D’abord le projet se débattit dans l’armée, d’où il passa dans la ville. Quelques personnes allèrent de Samos sur le continent pour conférer avec Alcibiade. Il promit de leur concilier l’amitié de Tissapherne, ensuite celle du grand roi, s’ils voulaient renoncer au gouvernement populaire, moyen le plus sûr de gagner la confiance du prince. Les citoyens les plus considérables, et c’étaient ceux qui avaient le plus à souffrir, conçurent beaucoup d’espoir de prendre le maniement des affaires, et de l’emporter sur les ennemis. De retour à Samos, ils engagèrent dans leur ligue les hommes qu’ils jugeaient le plus disposés à la servir, et déclarèrent ouvertement au gros de l’armée qu’ils auraient le grand roi pour ami, et qu’il leur fournirait de l’argent, pourvu qu’Alcibiade rentrât dans son pays, et qu’on ne restât pas sous le régime populaire. Quoique la multitude ne vît pas sans chagrin ce qui se passait, elle demeura tranquille, dans l’espoir que le grand roi lui paierait un subside.

Après avoir fait à la multitude cette communication, ceux qui voulaient établir l’oligarchie examinèrent entre eux de nouveau, et avec le plus grand nom-