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THUCYDIDE, LIV. VIII.

confiance, remis à la foi de Gylippe. Mais des Syracusains le craignaient, disait-on, parce qu’ils avaient eu des intelligences avec lui ; s’il était mis à la torture, il leur donnerait de l’inquiétude au milieu de leurs prospérités. D’autres, et surtout les Corinthiens, appréhendaient qu’étant riche, il ne séduisît des gens qui le feraient échapper, et qu’il ne parvînt à leur susciter encore de nouvelles affaires. Ils gagnèrent les alliés et le tuèrent. Telles furent à-peu-près les causes de la mort de l’homme qui, de tous les Hellènes de mon temps, mérita le moins, par sa piété, d’éprouver un tel sort.

Chap. 87. Quant aux prisonniers renfermés dans les carrières, les Syracusains les traitèrent durement dès les premiers jours. En effet, dans un lieu profond et à découvert, où ils étaient en grand nombre, les ardeurs du soleil, d’abord, et un air étouffant, les incommodaient ; et ensuite les nuits fraîches d’automne changeaient la constitution du corps et amenaient la faiblesse et les maladies qui en sont la suite.

Contraints de satisfaire, en un lieu resserré, à toutes les nécessités de la vie, et de souffrir près d’eux des morts entassés les uns sur les autres, ils périssaient, les uns de leurs blessures, les autres des variations qu’ils éprouvaient ou d’autres causes semblables. Respirant une insupportable odeur, ils étaient tourmentés tout ensemble par la soif et la faim : car, durant huit mois, on donna à chacun d’eux [par jour] une cotyle d’eau et deux cotyles de blé. De ces maux et d’autres qu’ils devaient souffrir, jetés dans un tel lieu, aucun ne leur fut épargné. Ils furent ainsi resserrés pendant soixante-dix jours. On ne garda ensuite que les Athéniens et ceux de Sicile et d’Italie qui avaient porté les armes avec eux ; le reste fut vendu. On ne saurait dire exactement le nombre des prisonniers ; mais il ne se monte pas à moins de sept mille. Ce fut en effet pour les Hellènes le plus cruel des désastres de cette guerre : ce fut aussi, à mon jugement, de tous les événemens qu’aient éprouvés les Hellènes et dont on ait conservé le souvenir, le plus glorieux pour les vainqueurs, le plus funeste pour les vaincus. Ceux-ci, entièrement défaits, n’eurent, à aucun égard, de légers maux à souffrir : ce fut une destruction complète : armée, vaisseaux, ils perdirent tout ; et d’une multitude innombrable, il ne revint chez eux qu’un petit nombre d’hommes. Tels furent les événemens de la guerre de Sicile.




LIVRE HUITIÈME.

Chapitre premier. Athènes a bientôt reçu les nouvelles de la catastrophe. Elles trouvèrent long-temps des incrédules ; même sur le témoignage des guerriers de la première distinction échappés au combat, on doutait que la défaite eût été si générale. Mais, la vérité enfin connue, on prit en haine les orateurs dont les voix avaient, réunies, inspiré tant de zèle pour l’expédition, comme si le peuple ne l’avait pas lui-même sanctionnée. Les publicateurs d’oracles, les devins, et tous ceux qui, en échauffant les esprits, avaient amené à croire qu’on se rendrait maître de la Sicile, furent les objets de l’indignation publique. On n’avait, de toutes parts, que sujet de douleurs, et aux calamités qu’on venait d’éprouver se joignaient la terreur et une profonde consternation. D’un côté, chacun avait à gémir en particulier sur ses pertes, et la république à regretter cette multitude d’hoplites, de cavaliers, cette jeunesse florissante qu’elle n’était plus en état de remplacer ; de l’autre, on ne voyait plus