Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
337
THUCYDIDE, LIV. VI.

qu’au mensonge pour persuader qu’ils tiennent à eux par les liens du sang ; leur patrie elle-même, fière de les avoir vus naître, craindrait qu’on ne les crût étrangers ; loin de leur reprocher des fautes, elle les appelle ses enfans, et les préconise comme ayant fait de grandes choses. Tel est le sort où j’aspire.

» Renommé par ma conduite privée, voyez si je le cède à personne dans l’administration des affaires publiques. C’est moi qui, sans danger et à si peu de frais, vous ai concilié les plus puissantes villes du Péloponnèse ; moi qui ai forcé les Lacédémoniens à risquer en un seul jour le sort de leur patrie à Mantinée ; et, quoique vainqueurs, ils n’ont pu encore reprendre une attitude assurée.

Chap. 17. » Ces résultats, c’est ma jeunesse, c’est ma folie, cette folie jugée hors de toute mesure, qui les a obtenus, en employant auprès des villes les plus puissantes du Péloponnèse le langage convenable, et qui, rassurant sur l’impétuosité de mon caractère, vous a amenés à ne plus la redouter. Tandis que je suis dans toute ma force, avec ma témérité supposée, et que la fortune semble favoriser Nicias, mettez à profit les avantages de l’un et de l’autre. Surtout, ne vous repentez pas d’avoir décrété l’expédition de la Sicile, comme si la Sicile était une puissance formidable. Les villes qui la composent, surchargées d’hommes de toutes les nations, changent de gouvernement et admettent de nouveaux colons. Aussi personne chez eux ne se croit une patrie ; personne n’est muni d’armes pour sa sûreté personnelle, et ne voit dans son pays même un état régulier de défense ; chacun se tient prêt à saisir ce qu’il croit pouvoir obtenir par la voie de la persuasion, ou ce qu’il espère, en formant un parti, pouvoir prendre sur la fortune publique, et emporter avec lui dans une terre étrangère, supposé que son parti ait le dessous. Est-il probable qu’une pareille multitude s’accorde à suivre un bon avis, et qu’elle se réunisse pour agir ? Tous s’empresseront de se rendre à la première ouverture capable de leur plaire, surtout s’ils sont en état de révolte, ainsi que nous l’apprenons. D’ailleurs les Siciliens n’ont pas autant d’hoplites qu’ils se vantent d’en avoir, et de plus les autres peuplades helléniques ne sont pas aussi nombreuses que le suppose le dénombrement de chacune d’elles : mais l’Hellade [sicilienne], s’en imposant complètement à elle-même, a, dans cette guerre, à peine établi un armement qui suffise.

» Tel est, et bien plus favorable encore pour nous, d’après ce que j’entends, l’état de la Sicile : car un grand nombre de barbares, en haine des Syracusains, se joindront nous pour les attaquer ; et les affaires d’ici ne vous causeront pas d’embarras, si vous prenez de sages mesures. Outre ces mêmes ennemis qu’en vous embarquant vous allez, dit-on, laisser derrière vous, nos pères avaient encore le Mède à combattre ; ils ont cependant acquis l’empire sans autre supériorité que celle de leur marine. Jamais les Péloponnésiens, quoique très forts, n’eurent moins qu’aujourd’hui l’espérance de l’emporter sur nous. Même notre expédition n’ayant pas lieu, ils pourront toujours ravager nos campagnes : mais avec leurs forces navales ils ne sauraient nous inquiéter, parce qu’il nous restera encore assez de vaisseaux pour tenir tête.

Chap. 18. » Quelle sera donc l’excuse de notre lenteur ? Sous quel prétexte nous dispenser de secourir nos alliés de Sicile, que les sermens prêtés et reçus nous obligent de défendre ? Et n’objectons pas qu’eux-mêmes ne nous ont point assistés : en nous les attachant,

22