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THUCYDIDE, LIV. V.

pouvait contracter avec eux une alliance défensive : on élirait un petit nombre de citoyens qu’on munirait de pleins pouvoirs, et l’on ne traiterait pas devant le peuple, afin que ceux qui ne pourraient engager la multitude dans leur sentiment, ne fussent pas connus. Ils assuraient qu’en haine de Lacédémone, bien des villes ne manqueraient pas de prendre part à cette ligue. Ils retournèrent chez eux après avoir proposé ces mesures.

Chap. 28. Ceux des principaux Argiens à qui elles furent communiquées, les portèrent aux magistrats et au peuple : elles furent décrétées, et l’on élut douze citoyens entre les mains de qui pourraient contracter alliance tous ceux des Hellènes qui le jugeraient à propos. On excepta les Athéniens et les Lacédémoniens, avec lesquels on ne pourrait traiter sans la participation du peuple d’Argos. Les Argiens consentirent d’autant plus volontiers à cette résolution, qu’ils se voyaient près d’entrer en guerre avec Lacédémone (car le traité qu’ils avaient avec cette république touchait à sa fin), et qu’ils espéraient commander les forces du Péloponnèse. On avait, à cette époque, une fort mauvaise opinion de Lacédémone, que ses revers avaient abaissée ; au lieu qu’Argos, qui, étrangère à la guerre de l’Attique et en paix avec les deux puissances, en avait recueilli les fruits, se trouvait dans la plus heureuse situation. Les Argiens reçurent donc dans leur alliance ceux des Hellènes qui voulurent y accéder.

Chap. 29. Les Mantinéens et leurs alliés, qui craignaient Lacédémone, s’engagèrent les premiers dans cette confédération (car une portion de l’Arcadie s’était rangée sous l’obéissance de Mantinée, qu’on avait soumise pendant qu’on était encore en guerre contre Athènes) : ils pensaient que Lacédémone, rendue au repos, ne les verrait pas d’un œil tranquille exercer cet empire. Ils se tournèrent donc avec joie du côté des Argiens, voyant en eux une puissance respectable, toujours ennemie de Lacédémone, et qui, comme eux, usait du gouvernement populaire. La défection des Mantinéens étant consommée, le reste du Péloponnèse déclara hautement qu’il fallait suivre leur exemple ; on supposait cette défection déterminée par des motifs dont eux seuls avaient le secret : on était d’ailleurs irrité contre Lacédémone par plusieurs raisons ; entre autres, parce que le traité portait que, sans enfreindre les sermens, les deux républiques de Lacédémone et d’Athènes pourraient y faire les additions et les retranchemens qu’elles jugeraient convenables. Cette clause, donnant lieu de soupçonner que les Lacédémoniens, d’intelligence avec les Athéniens, avaient des projets d’asservissement, troublait tout le Péloponnèse, qui trouvait juste que la faculté réservée fût commune à tous les alliés. Aussi la plupart, effrayés, s’empressèrent à l’envi d’entrer dans l’alliance d’Argos.

Chap. 30. Les Lacédémoniens, émus des clameurs du Péloponnèse, n’ignoraient pas que les Corinthiens les excitaient, et qu’ils allaient traiter avec Argos. Ils leur envoyèrent des députés pour prévenir, disaient-ils, les malheurs qui les menaçaient. Ils les accusaient d’être les instigateurs de tous les mouvemens, et leur représentaient que si, après les avoir abandonnés, ils embrassaient l’alliance des Argiens, ils se rendraient parjures ; que déjà même ils allaient contre la justice en n’acceptant pas la trève conclue avec Athènes, puisque le traité portait que ce qui serait décrété par la pluralité des alliés les engagerait tous, à moins qu’il n’y eût quelque empêchement de la part des dieux ou des héros.