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THUCYDIDE, LIV. III.

tinent d’où il était parti. Le lendemain, il n’osa pas davantage se porter à Corcyre, quoiqu’on y fût dans le trouble et dans la consternation, et que Brasidas conseillât, dit-on, cette entreprise à Alcidas, qui n’avait pas le même crédit que ce général. Ils firent une descente au promontoire Leucimne, et ravagèrent la campagne.

Chap. 80. Cependant le parti démocratique de Corcyre, redoutant l’arrivée de la flotte, traita avec les supplians et les autres du même parti, pour parvenir à sauver la ville. On en détermina même quelques-uns à monter sur les vaisseaux : car, malgré la situation critique où l’on se trouvait, on en équipa trente, s’attendant à voir arriver les ennemis. Mais les Péloponnésiens, après avoir dévasté les champs jusqu’à midi, se retirèrent. Aux approches de la nuit, des feux les avaient avertis que soixante vaisseaux athéniens, partis de Leucade, venaient les attaquer. En effet, Athènes, informée que Corcyre était livrée à la sédition, et que les vaisseaux d’Alcidas devaient s’y rendre, avait envoyé cette flotte sous le commandement d’Eurymédon, fils de Théoclès.

Chap. 81. Les Péloponnésiens se hâtèrent, la nuit venue, de retourner chez eux, en rasant la côte. Dans la crainte d’être aperçus s’ils tournaient l’isthme des Leucadiens, ils transportèrent leurs vaisseaux par-dessus cet isthme, et effectuèrent leur retraite. Sur la nouvelle que la flotte d’Athènes approchait et que celle des ennemis était retirée, les Corcyréens introduisirent dans la ville les Messéniens, jusque-là restés en dehors, et envoyèrent le long des côtes, dans le port Hyllaïque, les vaisseaux qu’ils avaient équipés, tuant, dans cette expédition, tous ceux des ennemis qui leur tombaient entre les mains, jetant hors des vaisseaux et submergeant ceux qu’ils avaient engagés à y monter. Ils entrèrent dans l’herœuum, persuadèrent à une cinquantaine des réfugiés de se soumettre à un jugement, et les condamnèrent tous à mort. Les malheureux qui avaient refusé de quitter cet asile, et qui formaient le plus grand nombre, n’ignorant pas ce qui se passait, se tuaient les uns les autres dans l’hiéron : plusieurs se pendaient à des arbres ; chacun se donnait la mort par le moyen qui s’offrait à lui.

Pendant sept jours qu’Eurymédon passa à Corcyre avec sa flotte de soixante vaisseaux, les Corcyréens tuèrent tous ceux qu’ils jugeaient ennemis, leur reprochant d’avoir voulu renverser le gouvernement populaire. Plusieurs périssaient victimes d’inimitiés particulières ; des créanciers étaient sacrifiés par leurs débiteurs. La mort se présentait sous toutes les formes. Toutes les horreurs qui d’ordinaire accompagnent de telles circonstances furent commises et même surpassées ; le père assassinait son fils ; on arrachait sa victime aux asiles sacrés, on la frappait dans les hiérons même ; quelques-uns périrent murés dans l’hiéron de Bacchus : tant fut horrible cette sédition ! Elle le parut encore davantage, en ce qu’elle était la première dont Corcyre eût été le théâtre.

Chap. 82. Bientôt l’Hellade fut presque tout entière ébranlée. Elle se trouva divisée en deux factions. Celle du parti populaire invoquait Athènes ; celle du petit nombre, Lacédémone. On n’aurait eu pendant la paix ni prétexte ni facilité de réclamer des secours : mais, dans la guerre, les hommes avides de nouveautés se procuraient aisément des alliés, autant pour nuire à la faction contraire, que pour accroître leur puissance. Les séditions amenèrent à leur suite dans les villes beaucoup de maux qui les accompagnent d’ordinaire, et qui les accompa-