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THUCYDIDE, LIV. II.

rait séparés d’une patrie si digne de leur amour ; et ceux qui leur survivent doivent tout sacrifier à la défense d’une cause si belle.

Chap. 42. » Si je me suis étendu sur les louanges de notre république, c’est ce que je voulais faire concevoir que le combat n’est pas égal entre nous et des hommes qui n’ont aucun de ces avantages à défendre. Il fallait d’ailleurs établir sur d’incontestables preuves l’éloge des héros dont nous honorons la tombe. Que dis-je ? cet éloge est presque entièrement achevé. En effet, tout ce que je dis à la gloire de la république, à qui le devons-nous, sinon à leurs vertus et à celles de leurs semblables ?

» Sur quelque contrée de l’Hellade que vous tourniez vos regards, vous trouverez peu d’hommes au niveau de leur renommée : mais ici l’orateur n’a point à craindre qu’on oppose à son témoignage celui de l’austère vérité. Le glorieux trépas de nos guerriers me semble placer au grand jour la vertu de chacun d’eux. C’est par la mort qu’il faut commencer l’examen ; c’est en elle que la preuve se consomme.

» Si quelqu’un d’entre eux, sous d’autres rapports, mérita un reproche, il est juste que leur éclatante valeur dans les combats pour la patrie étende sur leurs faiblesses un voile protecteur ; car, effaçant le mal par le bien, ils ont rendu leurs actions publiques plus utiles que leur conduite privée n’a pu être nuisible.

» Parmi eux, on n’a vu ni le riche amolli préférer les jouissances à ses devoirs, ni le pauvre tenté de fuir, cédant à cet espoir que conserve le malheureux d’échapper à l’infortune et de s’enrichir un jour. Tous unanimement, regardant le châtiment de leurs adversaires comme le plus digne objet de leur ambition, et considérant en même temps comme les plus nobles de tous les périls ceux qu’ils affrontaient, tous ils se hâtaient, à travers ces périls, de courir à la vengeance et de couronner à-la-fois tous leurs vœux. Abandonnant à l’imagination l’incertitude de l’avenir, mais ne consultant que leur cœur sur la certitude du présent ; persuadés d’ailleurs que le vrai salut du soldat est plutôt dans la mort qu’il trouve au sein de la vengeance, que dans la fuite, qui ne sauve que sa vie, ils ont évité la honte attachée au nom de vaincus : ils se sont en quelque sorte identifiés avec la victoire ; et leur âme, inaccessible à la crainte, est sortie du combat avec toute sa gloire, sans même avoir senti pencher la balance du destin.

Chap. 43. » C’est ainsi qu’il convenait à de tels hommes de s’offrir en victimes à la patrie. O vous qui leur avez survécu, demandez, vous le pouvez sans doute, demandez aux dieux une victoire que ne suive point le trépas ; mais jamais n’opposez à l’ennemi une valeur moins audacieuse. Faudrait-il donc vous retracer tous les biens qui sont les fruits du courage ? Vous les connaissez comme moi. La grandeur de la patrie qui arme vos bras n’est pas un tableau qu’il suffise de contempler sous le pinceau de l’orateur : c’est une beauté réelle ; il faut que le cœur en soit épris, que l’amour en devienne plus actif à mesure que la connaissance en devient plus parfaite. Que la reconnaissance vous dise tous les jours : ceux qui nous l’ont acquise, sensibles au cri de l’honneur, à la voix de l’opinion, savaient braver les dangers. Quelquefois la fortune trompa leur attente : mais jamais ils ne crurent qu’un revers dût priver la patrie de leur vertu. Aussi lui ont-ils payé le plus noble des tributs ; car, en lui donnant tout leur sang, ils ont obtenu pour eux-mêmes un honneur immortel et le plus glorieux des tombeaux, non pas ce froid