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défaite des deux corps qui causaient cette inquiétude.

Lorsqu’il jugea que le moment était convenable pour attaquer, il entonna l’hymne du combat, partit à la tête de la cavalerie de sa réserve de droite, se fit suivre au grand pas par son infanterie, et ordonna de lâcher les chariots qui couvraient le flanc. Il prit de si justes mesures, qu’il tomba sur la pointe et les derrières de l’aile gauche de Crésus, au même instant où les chars armés de faux portaient le trouble et la terreur dans tout le front. En très peu de temps cette ligne fut en désordre, plia et se dispersa.

Artagersas, qui devait exécuter les mêmes manœuvres à la gauche, réussit également. Sa troupe de chameaux alla droit aux derniers escadrons de l’aile ennemie, pendant que la réserve suivait de près, afin de prendre en flanc. Lorsque les chevaux aperçurent les chameaux, ils se cabrèrent, jetèrent à bas leurs cavaliers et se précipitèrent les uns sur les autres. Les chars arrivèrent aussitôt, se plongèrent dans l’épaisseur de cette cavalerie et augmentèrent la confusion. Les troupes d’Artagersas les poussaient d’un autre côté et gagnaient leurs derrières ; bientôt la déroute devint générale, et la plaine sur ce point fut nettoyée.

Averti de ce qui se passait, Abradate n’attendit pas davantage pour attaquer le front de l’armée. Ses chariots commencèrent la charge avec tant de succès, que ceux des ennemis, qui n’étaient ni aussi bien armés, ni construits avec autant de solidité, n’osèrent les combattre.

Ceux des Perses les suivirent et se jetèrent dans les bataillons des Égyptiens, qui, au lieu de leur laisser des issues, s’étaient resserrés, de sorte qu’ils ne formaient plus qu’une grosse ligne contiguë. Les phalanges des Perses pénétrèrent dans les trouées qu’on s’était ouvertes ; elles y faisaient un ravage horrible lorsque le char d’Abradate fut renversé, et ce prince tué avec ceux qui l’accompagnaient.

L’infanterie persane, malgré ses premiers avantages, ne put résister à l’extrême épaisseur des Égyptiens ; elle fut obligée de plier et recula jusqu’à la dernière ligne. Mais les gens de traits revinrent à la charge, et les Égyptiens eurent encore à souffrir une grêle de flèches qu’on leur tirait du haut des tours.

Sur ces entrefaites, Cyrus rassembla sa cavalerie de l’aile droite, et par une manœuvre habile, tournant sur le centre de l’armée ennemie, vint prendre en queue les bataillons des Égyptiens. On vit alors une mêlée affreuse : l’infanterie et la cavalerie se confondirent ; le choc des armes, les cris des combattans formaient un bruit épouvantable. Le cheval de Cyrus fut blessé, et lui-même, jeté par terre au milieu de ce chaos, remonta difficilement sur le cheval d’un de ses gardes.

Hytaspe cependant, qui commandait l’aile gauche de la cavalerie, arrivait aussi de son côté sur les Égyptiens. Ceux-ci, pressés de toutes parts, ne gardaient plus aucune ordonnance ; la multitude se poussait des extrémités vers le milieu ; elle s’y concentra et forma un orbe à centre plein.

Couverts de leurs grands boucliers, armés de leurs longues piques, ces hommes, bien qu’ils ne présentassent plus qu’une masse informe, opposaient encore une résistance formidable lorsque Cyrus, s’étant avisé de monter sur une des tours de bois, aperçut que les siens étaient partout victorieux. Il ne restait plus que les Égyptiens, dont le prince admirait et craignait la valeur ; il leur envoya proposer de mettre bas les armes ; mais ces braves refusèrent de se rendre à discrétion. On fit un traité par lequel Cyrus s’engageait de les prendre à sa solde ; de