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THUCYDIDE, LIV. I.

tez en avant des considérations de justice. Mais à ces considérations, a-t-on jamais sacrifié les occasions de s’agrandir par la force ? Et ne doit-on pas des éloges à ceux qui, sans combattre le penchant naturel qui porte à commander, se montrent cependant plus justes que (d’autres ne le seraient) avec un tel pouvoir ? Oui, nous le croyons, d’autres à notre place feraient bien connaître si nous sommes modérés ; mais, pour prix de notre indulgence, nous avons injustement recueilli plus de censures que d’éloges.

Chap. 77. » En vain, dans les affaires contentieuses, nous perdons nos procès contre nos alliés, en vain nous leur avons assigné chez nous des tribunaux où ils sont juges d’après des lois parfaitement les mêmes et pour eux et pour nous. Ils nous trouvent litigieux ! et aucun d’eux ne considère comment il se fait que ceux qui commandent ailleurs, moins modérés que nous envers leurs sujets, n’encourent cependant pas le même reproche. La raison en est que les hommes qui trouvent leur droit dans la force, n’ont pas besoin d’y joindre les formes de la justice. Mais nos alliés, accoutumés à traiter d’égal à égal, viennent-ils à sentir le poids ou du pouvoir absolu, ou d’une justice rigoureuse ; se croient-ils lésés dans leurs présentions par une cause quelconque, ils ne nous savent aucun gré de ne leur avoir pas enlevé davantage : ils supportent une légère privation avec plus de peine que si, dès l’origine, mettant la loi de côté, nous eussions ouvertement affiché la prétention de supériorité ; car alors eux-mêmes n’eussent pas osé soutenir que le plus faible ne doit pas céder au plus fort. Les hommes en effet, comme il est dans la nature, s’indignent plus de l’injustice que de la violence. Une injustice que l’on éprouve d’égal à égal leur semble usurpation ; la violence exercée par le plus fort leur paraît l’effet de la nécessité. Voilà pourquoi nos alliés, qui avaient bien plus à souffrir des Mèdes, souffraient patiemment, tandis que notre autorité leur semble dure : cela doit être, car la domination du moment est toujours bien pesante pour des sujets.

» Vous-mêmes, Lacédémoniens, si, devenus nos vainqueurs, vous commandiez à votre tour, peut-être perdriez-vous bientôt cette bienveillance que vous devez à la crainte que nous inspirons, surtout si vous vous conduisez sur les mêmes principes que dans la courte durée de votre commandement dans la guerre médique ; car vous adoptez entre vous des institution inconciliables avec celles des autres ; et de plus, chacun de vous, une fois sorti de Lacédémone, ne se gouverne ni par les principes de son pays, ni par ceux reçus chez les autres Grecs.

Chap. 78. » Délibérez donc avec lenteur dans une affaire qui doit avoir de longues suites ; et pour trop vous fier à des idées et à des plaintes qui vous sont étrangères, ne vous précipitez point dans des calamités qui vous seraient personnelles. Avant d’entreprendre la guerre, considérez quels en sont les hasards. Quand elle se prolonge, elle finit par amener des incidens inattendus. Nous sommes tous encore à une égale distance des maux qu’elle entraîne, et l’avenir nous cache qui le sort favorisera. On commence dans la guerre par où l’on devrait finir : les maux venus, c’est alors qu’on délibère. Comme c’est une faute que ni les uns ni les autres n’avons encore à nous reprocher, et qu’il nous est encore permis de prendre une sage résolution, nous vous conseillons de ne pas rompre la paix, de ne pas enfreindre vos ser-