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AUTOUR D’UNE AUBERGE

d’aise en entendant raconter ces énormités. À ces histoires se mêlaient des blasphèmes, des jurons, inspirés par les démons de l’enfer. Cette fête, en un mot, était dégénérée en orgie…

Longtemps ces ivrognes prolongèrent la veillée. Sellier, échauffé par l’alcool, était en verve. Il riait, pleurait, se jetait au cou de Rougeaud, ne sachant, disait-il, comment reconnaître ses bons services. Rougeaud, à la surprise générale, ne prenait que fort peu. Il garda assez d’empire sur lui-même pour s’arrêter à temps.

Lorsque tous ou presque tous furent endormis, ou partis. Sellier demanda à son aide de camp de le reconduire à sa demeure. Rougeaud se rendit à son invitation. La distance était peu considérable. En entrant dans sa chambre, Sellier lui dit :

M. Rougeaud, c’est aujourd’hui l’un des plus beaux jours de ma vie. Décidément, mon vieux crâne de père avait tort de me mettre à la porte en me prédisant que je mangerais toute ma vie de la vache enragée. Il s’est trompé, car j’ai réussi dans toutes mes entreprises. Chassé à vingt ans de chez nous par le vieux, qui me reprochait, avec raison, d’avoir volé la bagatelle de huit cents francs, j’ai eu quelques années de misères, mais depuis mon arrivée ici tout m’a réussi… Oui ! il n’y a pas jusqu’au bonhomme Labonté qui m’a reçu et m’a donné sa fille.