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s’en être servie pour assassiner son mari. La manière dont elle mit à mort ce mauvais prieur était bien horrible, car elle lui fit couper les jarrets et le laissa ainsi mutilé dans la forêt d’Haubertbois, ce qui estait grand pitié à voyr, car ledict prieur se traisna et rampa misérablement jusque à ce que fut mort de faim dans ladite forêt.

Le reste de la déclaration était peu important et ne contenait que l’ordre donné à un de nos ancêtres de prendre possession au nom du roi, des châteaux de messire Bertrand et de madame Jeanne.

Lorsque le commandeur eut terminé sa lecture, mon père lui demanda quel jour nous étions arrivés.

— C’est dans la nuit de l’Assomption que j’eus le malheur de perdre et le bonheur de retrouver madame votre fille, répondit M. de Bélièvre.

— La déclaration, reprit mon père, est datée de 1459 et nous sommes en 1759. La nuit de l’Assomption il y a eu donc juste trois cents ans... Commandeur, il ne faut pas en parler à ma fille, car il vaut mieux qu’elle pense avoir rêvé.

Une terreur rétrospective me rendit toute pâle à ces paroles. Mon père et le commandeur s’en aperçurent et se regardèrent avec inquiétude. Mais je fis semblant de ne me réveiller qu’à ce moment et je prétextai une défaillance.

Quelques jours après j’étais entièrement rétablie.

Bientôt je repartis pour Paris, toujours accompagnée par M. de Bélièvre. Je revis d’Urfé et le trouvai plus amoureux que jamais ; mais cédant à un détestable penchant à la coquetterie, je redoublai de froideur avec lui, sans cesser de le tourmenter et en le raillant surtout de sa tentative d’enlèvement.

Je fis si bien, qu’un beau matin il vint m’annoncer que las d’être joué, il s’en allait en Moldavie.

Je connaissais assez le marquis pour savoir qu’arrivé à ce point, il ne changerait plus d’idée. Je le laissai donc partir et comme je me figurais, je ne sais pourquoi, qu’il pourrait lui arriver malheur, je lui donnai, pour l’en préserver, ma petite croix qui, comme il me raconta plus tard, le sauva d’un Immense danger.

Six mois après le départ du marquis, j’épousai votre grand-père, et j’avoue, mes enfants, qu’il entra un peu de dépit dans cette résolution. Cependant on a eu raison de dire que les mariages d’amour ne sont