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mais vous êtes trop juste pour m’accuser de mauvais vouloir et pour tout autre genre de duel je me mets à vos ordres en tel lieu et a telle heure qu’il vous plaira de fixer.

Mon père fut très surpris de cette conclusion et ce ne fut qu’avec beaucoup de peine que nous persuadâmes au commandeur qu’il avait fait tout ce qu’il était possible de faire, et qu’il n’y avait pas lieu de se couper la gorge.

Alors il embrassa mon père avec effusion et lui dit qu’il était bien aise que les choses s’arrangeassent ainsi, car il se serait senti bien malheureux de tuer son meilleur ami.

Je priai M. de Bélièvre de me dire comment il m’avait retrouvée, et il me raconta qu’en s’élançant après moi, il avait donné de la tête contre un arbre, ce qui lui avait d’abord fait perdre connaissance. Revenu à lui, il s’était aperçu que son bras gauche était cassé, mais cela ne l’avait pas empêché de se mettre à ma recherche et de m’appeler à plusieurs reprises. Enfin, après beaucoup de peines inutiles, il m’avait trouvée couchée au milieu des ruines et m’avait emportée sur son bras droit.

Je racontai à mon tour ce qui m’était arrivé dans le château d’Haubertbois, mais mon père traita le tout de visions et de rêves. Je le laissai se moquer de moi, mais intérieurement j’étais bien convaincue de n’avoir pas rêvé, et cela d’autant plus que je ressentais encore une douleur fort vive à la main qu’avait serrée le gantelet de messire Bertrand.

Cependant ces diverses émotions m’avaient tant impressionnée que j’en eus une fièvre qui me dura plus de quinze jours. Pendant ce temps mon père et le commandeur (dont le bras avait été pansé par le chirurgien du lieu) jouaient aux échecs dans ma chambre, ou bien, lorsqu’ils me croyaient endormie, ils fouillaient tous deux dans une grande armoire remplie de paperasses et de vieux parchemins.

Un jour que j’avais fermé les yeux, j’entendis mon père dire au commandeur :

— Mon ami, lisez ceci et dites-moi ce que vous en pensez.

La curiosité me fit entrouvrir les yeux et je vis que mon père tenait en mains un parchemin tout jaune, auquel pendaient plusieurs sceaux en cire, comme il était d’usage autrefois d’en attacher aux édits du parlement, ou aux ordonnances royales.