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commandeur, dont les vêtements étaient déchirés et tachés de sang.

— Madame, me dit-il, lorsqu’il vit que j’étais en état de l’entendre, si le plus cruel moment de ma vie a été celui où je vous perdis, je puis affirmer que rien n’égalerait mon bonheur actuel, s’il n’était empoisonné par le remords de n’avoir pu empêcher votre chute !

— Commandeur, répondis-je, laissez-là vos condoléances et posez-moi à terre, car je suis toute brisée, et à la manière dont vous me tenez, vous ne me paraissez pas propre à faire une bonne d’enfant.

— Madame, dit M. de Bélièvre, n’en accusez pas mon zèle, mais bien mon bras gauche qui est cassé !

— Mon Dieu ! m’écriai-je, comment avez-vous cassé votre bras ?

— En m’élançant après vous, madame, comme c’était mon devoir, lorsque je vis la fille de mon honoré ami précipitée hors du carrosse.

Touchée du dévouement de M. de Bélièvre, je le priai de me laisser marcher. Je lui proposai aussi de lui faire une écharpe de mon mouchoir, mais il me répondit que son état ne valait pas la peine que je m’en occupasse et qu’il était trop heureux d’avoir un bras de reste à mettre à mon service.

Avant que nous ne fussions sortis du bois, nous rencontrâmes une chaise à porteurs que mon père, déjà instruit de mon accident par nos gens, avait envoyée à ma rencontre. Lui-même était à ma recherche d’un autre côté. Bientôt nous nous rejoignîmes. En me voyant, il fut fort alarmé, et ses premiers soins furent pour moi. Puis il voulut serrer dans ses bras M. de Bélièvre qu’il n’avait pas vu depuis nombre d’années. Mais le commandeur fit un pas en arrière et dit à mon père d’un air fort sérieux :

— Monsieur et très cher ami ! En me confiant madame votre fille, c’est-à-dire ce que vous avez de plus précieux au monde, vous m’avez donné une preuve d’amitié dont j’ai été vivement touché. Pourtant cette amitié je m’en suis rendu indigne, car malgré tous mes soins, je n’ai pu empêcher le tonnerre d’effrayer nos chevaux, notre carrosse d’être brisé et madame votre fille d’être jetée dans la forêt et d’y rester jusqu’à ce matin. Vous voyez donc, monsieur et cher ami, que j’ai trahi votre confiance, et comme il est juste que je vous fasse une réparation, je vous offre de nous battre, soit à l’épée, soit au pistolet ; je regrette que l’état de mon bras gauche me rendre impossible le combat à la dague que vous auriez préféré peut-être,