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Il paraissait beaucoup souffrir, mais aux gémissements qu’il poussa, la dame au réseau de perles se prit à rire avec affectation et dit,en se tournant vers le chevalier :

Oyez donc : messire, oyez donc le prieur faire le malpiteux, comme trois cents ans devant !

Le chevalier avait levé sa visière. Son visage, loin de ressembler au marquis d’Urfé. était tout livide et avait une expression de férocité que je ne pus soutenir. Ses yeux sortant de leurs orbites étaient fixés sur moi, tandis que le prieur, toujours rampant par terre, psalmodiait des prières d’une voix nasillarde et les interrompait de temps en temps par des cris de douleur et des blasphèmes si horribles, que je sentais mes cheveux se dresser sur ma tête. Une sueur froide m’inondait le front, mais je ne pouvais faire un mouvement, car l’étreinte de messire Bertrand m’avait ôté toute faculté, excepté celle de voir et d’entendre.

Quand enfin le franciscain, s’adressant au public, se mit à proclamer à haute voix mes nopces avec messire Bertrand d’Haubertbois, la peur et l’indignation me donnèrent des forces surnaturelles. Par un violent effort je dégageai ma main et présentant ma croix aux fantômes :

— Qui que vous soyez, m’écriai-je, au nom du Dieu vivant, je vous ordonne de disparaître.

A ces mots la figure de Messire Bertrand devint toute bleue. Il chancela, et j’entendis la chute d’une armure qui résonna aussi creux qu’un chaudron tombant sur les dalles.

Au même instant les autres revenants disparurent, le vent siffla et éteignit les lumières.

Je me trouvai au milieu de vastes ruines. Dans un rayon de lune, qui pénétrait à travers une fenêtre en ogive, je crus voir s’agiter une foule de franciscains, mais cette vision disparut également sitôt que j’eus fait un signe de croix. Une faible psalmodie arriva jusqu’à moi. je distinguai encore les mots : j’ai faim, j’ai faim ! puis je n’entendis qu’un bourdonnement dans les oreilles.

La fatigue me gagna et je m’assoupis.

Quand je me réveillai, je me sentis portée par un homme qui faisait de grandes enjambées par-dessus les broussailles et les troncs d’arbres. J’ouvris les yeux et je reconnus à la clarté de l’aube le