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rapidement, que tout en ayant les yeux fermés, j’en étais éblouie.

Vous savez, mes enfants, si j’ai jamais pu supporter l’orage. Une frayeur nerveuse s’empara de moi. je tremblais comme une feuille et je me serrai contre le commandeur qui se croyait obligé de me faire des excuses.

Nous avancions fort lentement à cause des arbres renversés sur la route. La nuit était close quand le cocher arrêta brusquement les chevaux et s’adressant au commandeur :

— Monsieur, dit-il, faites excuse, je me suis trompé de chemin : Nous sommes dans la forêt d’Haubertbois, je la reconnais à ce vieux chêne aux branches coupées !

A peine avait-il prononcé ces paroles, qu’un coup de tonnerre ébranla la forêt, la foudre tomba près du carrosse et les chevaux effrayés prirent le mors aux dents.

— Sainte Vierge, ayez pitié de nous ! s’écria le cocher, en entortillant ses mains dans les rênes. Mais les chevaux ne lui obéissaient plus.

Nous allions ventre à terre, nous heurtant à droite et à gauche, et nous attendant à chaque instant à être brisés contre les arbres.

J’étais plus morte que vive et ne comprenais rien aux phrases de M. de Bélièvre, car il me semblait que des sons étranges se mêlaient au sifflement du vent et au bruit du tonnerre. Plusieurs fois j’avais cru entendre tout près de moi des gémissements déchirants et puis une voix qui criait : j’ai faim, j’ai faim !

Tout à coup le cocher, au lieu de continuer à retenir les chevaux, leur lâcha les rênes et les fouetta, en poussant des cris terribles.

— Germain ! misérable ! Es-tu fou ? lui cria le commandeur.

Germain se retourna et nous fit voir à la lueur d’un éclair sa figure pâle comme la mort.

Le prieur ! dit-il d’une voix étranglée, le prieur à nos trousses !

— Arrête, imbécile, tu veux donc casser le cou à madame ! Arrête, ou je te brûle la cervelle !

M. de Bélièvre n’avait pas eu le temps d’achever, que nous sentîmes une secousse épouvantable, je fus jetée hors du carrosse et je perdis connaissance.

Je ne sais combien de temps dura mon évanouissement, mais je fus rappelée à moi par une musique peu éloignée.