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faire chaque soir, me demanda la permission de se retirer et me souhaita une bonne nuit.

Restée seule, je congédiai mes femmes et ne me déshabillai pas, car je m’attendais à voir paraître M. d’Urfé, que j’étais d’ailleurs décidée à traiter comme il le méritait, toutefois sans l’exposer au ressentiment du commandeur.

Une heure s’était à peine écoulée, que j’entendis un léger bruit au dehors. J’ouvris la croisée et je reconnus le marquis qui montait sur une échelle de cordes.

— Monsieur, lui dis-je, retirez-vous sur-le-champ, ou j’appelle du monde !

— Madame, par pitié, écoutez-moi !

— Je ne veux rien entendre et si vous faites un mouvement pour entrer, je vous jure que je sonne !

— Alors faites-moi tuer, car de mon côté j’ai juré que la mort seule m’empêchera de vous enlever !

Je ne sais ce que j’allais faire ni répondre, quand tout à coup une fenêtre de la chambre qui touchait à la mienne s’ouvrit brusquement et j’y vis paraître le commandeur, un flambeau à la main.

M. de Bélièvre avait remplacé son habit par une robe de chambre cramoisie, et sa perruque par un bonnet de nuit pointu qui rendait sa figure grotesquement imposante et lui donnait un faux air de magicien.

— Marquis ! s’écria-t-il d’une voix de tonnerre, veuillez avoir l’obligeance de vous retirer !

— Commandeur, répondit le marquis, toujours sur son échelle, je suis ravi de vous voir chez moi !

— Monsieur le marquis, reprit le commandeur, je suis désolé de vous dire que si vous ne descendez sur-le-champ, j’aurai l’honneur de vous brûler la cervelle !

A ces mots il posa son flambeau sur la fenêtre et dirigea sur le marquis les canons de deux énormes pistolets.

— Y pensez-vous, commandeur ! m’écriai-je, en me penchant hors de la fenêtre, voulez-vous commettre un assassinat ?

— Madame la duchesse, répondit M. de Bélièvre, en s’inclinant courtoisement du haut de sa croisée, daignez m’excuser si je parais devant vous dans ce négligé, mais l’urgence du cas m’enhardit à vous demander une indulgence que je n’aurais pas osé solliciter dans tout