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ù je devais coucher et nous étions précédés de deux hommes à cheval, qui de jour criaient à ceux que nous rencontrions de nous faire place et qui de nuit nous éclairaient avec des flambeaux.

La politesse cérémonieuse du commandeur ne l’abandonnait pas plus en route qu’elle ne lui faisait défaut dans un salon. Il commença par vouloir se placer vis-à-vis de moi et fit mille difficultés pour s’asseoir à mes côtés dans le fond du carrosse.

— Eh bien ! commandeur, avez-vous peur de moi, que vous allez ainsi vous nicher sur le devant ?

— Madame, vous ne pouvez douter qu’il me serait doux de me placer à côté de la fille de mon meilleur ami, mais je croirais forfaire à mes engagements, si je dérangeais le moins du monde celle qu’en ce moment je suis tenu de protéger !

Il avait pris tellement au sérieux son rôle de protecteur, qu’il ne se passait pas cinq minutes sans qu’il me demandât si j’étais bien assise, ou si je n’étais pas incommodée par les courants d’air.

— Commandeur, faites-moi donc la grâce de me laisser tranquille, car vous êtes insupportable !

Alors il poussait un profond soupir et apostrophait sévèrement le cocher pour lui recommander de faire plus d’attention à m’éviter les cahots.

Comme nous voyagions à petites journées, le commandeur avait exigé que je fisse un repas à chaque halte. Quand il s’agissait de descendre, il ne me présentait jamais le bras sans se découvrir et lorsqu’il me conduisait à table, il se confondait en excuses de ce que je n’étais pas servie avec la même étiquette qu’en mon hôtel rue de Varenne.

Un jour que j’eus l’imprudence de dire que j’aimais la musique, le commandeur se fit apporter une guitare et chanta un air de guerre des chevaliers de Malte avec des éclats de voix formidables et en roulant des yeux à faire peur. Il ne cessa de faire vibrer les cordes de son instrument que lorsqu’il les eut rompues. Alors il se confondit en excuses et se tut,

La moitié de nos gens étant à lui, il leur avait fait prendre ma livrée, afin que je n’eusse pas l’air de voyager dans son équipage. Toutes ces délicatesses ne me touchaient guère, car je voyais dans M. de Bélièvre moins un ami qu’un mentor pédant et ennuyeux.