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— Faites toujours, mon cher commandeur !

— Vous avez encore reçu hier le marquis d’Urfé...

— C’est vrai, mon cher commandeur, et avant-hier aussi, je le reçois encore ce soir, ainsi que demain et après-demain.

— C’est précisément au sujet de ces fréquentes visites que je désire vous entretenir. Vous n’ignorez pas madame, que monsieur votre père, mon honoré ami, vous a confiée à ma garde et que je réponds de vous à Dieu comme si j’avais le bonheur de vous avoir pour fille...

— Eh ! mon cher commandeur, est-ce que vous craignez que le marquis ne m’escamote ?

— Je suppose, madame, que le marquis connaît trop bien le respect qu’il vous doit pour oser former un pareil projet. Cependant il est de mon devoir de vous avertir que ses assiduités deviennent le sujet des conversations de la cour, que je me les reproche d’autant plus que c’est moi qui ai eu le malheur de vous présenter le marquis et que si vous ne l’éloignez bientôt, je me verrai, à mon grand regret, forcé de rappeler en combat singulier.

— Vous plaisantez, mon cher commandeur, le combat serait vraiment singulier ! Vous oubliez que vous avez le triple de son âge !

— Madame, je ne plaisante jamais et ce sera comme j’ai l’honneur de vous dire.

— Mais c’est une indignité, monsieur, c’est une tyrannie qui n’a pas de nom ! Si la société de M. d’Urfé me convient, qui est-ce qui a le droit de m’empêcher de le voir ? Qui peut l’empêcher de m’épouser si j’y consens ?

— Madame, répondait le commandeur, en hochant tristement la tête, croyez-moi, cela n’est pas l’idée du marquis. J’ai assez vécu pour voir que M. d’Urfé, loin de songer à se fixer, ne pense qu’ à tirer vanité de son inconstance. Et que deviendriez-vous, pauvre fleur des Ardennes, si après lui avoir abandonné tout le miel de votre calice, vous voyiez tout à coup ce beau papillon s’envoler comme un traître ?

— Allons, voici maintenant des inculpations indignes ! Savez-vous. mon cher commandeur, que si vous y allez de la sorte, vous me rendrez amoureuse folle du marquis ?

— Je sais, madame, que votre père, mon vénérable ami, vous a confiée à moi et que je mériterai sa confiance et votre estime au risque même de vous devenir odieux.