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au-dessus des sourcils, un trait que je ne saurais définir, mais qui donne à votre regard une puissance étrange...

— Monsieur, lui répondis-je, on prétend que je ressemble beaucoup au portrait de ma trisaïeule, laquelle, d’après une légende de mon pays, aurait, rien que par son regard, fait choir dans les fossés un chevalier présomptueux qui s’étais mis en tête de l’enlever et qui déjà avait escaladé les murs de son château.

— Madame, dit le marquis en s’inclinant galamment, puisque les traits de votre trisaïeule sont aussi les vôtres, je n’ai pas de peine à croire à la légende ; seulement je vous ferai observer qu’à la place du chevalier, je ne me serais pas tenu pour battu et qu’aussitôt hors des fossés, j’aurais recommencé l’escalade.

— En vérité, monsieur ?

— Très certainement, madame.

— Un échec ne vous décourage pas ?

— On peut m’intimider une fois — me décourager jamais.

— Nous verrons, monsieur !

— Nous verrons, madame !

Depuis ce jour il y eut guerre acharnée entre nous ; fausse indifférence de ma part, galanterie persévérante de celle du marquis. Ce manège finit par attirer sur nous l’attention de tout le monde et le commandeur de Bélièvre me gronda sérieusement

C’était un singulier personnage que le commandeur de Bélièvre et il faut que je vous en dise deux mots. Figurez-vous un homme grand, sec et grave, très cérémonieux, très phraseur et qui ne souriait jamais. Dans sa jeunesse il avait montré à la guerre un courage qui allait jusqu’à la folie, mais il n’avait jamais connu l’amour et il était très timide avec les femmes. Quand je lui faisais quelque bonne cajolerie (ce qui arrivait chaque jour de poste, attendu qu’il envoyait régulièrement à mon père des comptes rendus de ma conduite, comme si j’étais encore une petite fille), c’est à peine s’il déridait son front, mais alors il faisait une si drôle de grimace que je lui riais au nez au risque de nous brouiller. Pourtant nous restions les meilleurs amis du monde, sauf à nous prendre aux cheveux dès qu’il s’agissait du marquis.

— Madame la duchesse, je suis désolé que mon devoir m’oblige de vous faire une remarque...