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LESAGE.

mière de son Paysan parvenu est empruntée au Gil Blas, et son roman finit juste où Turcaret commence, avec Jacob entrant dans la finance. Sans doute Marivaux a une psychologie singulièrement plus fine et plus nuancée que celle de Lesage, et, arrêtant son héros presque au bord de toutes les pentes sur lesquelles glisse Gil Blas, il prêche mieux d’exemple, mais au fond l’emporte-t-il tant par l’élévation morale ? En tout cas, il reste au-dessous de son modèle pour le mérite de l’invention, l’étendue de l’observation, et la qualité du style. Le Jacob de Marivaux a beaucoup prêté au Tom Jones de Fielding, mais ce dernier ne doit pas moins à « ce spirituel coquin de Gil Blas », comme l’appelle à ce sujet Walter Scott, avec plus d’à-propos que d’indulgence. En désignant parmi les ancêtres du petit Benjamin, plaisant factoton de son héros, « le barbier de Bagdad et celui de don Quichotte », Fielding nous semble un peu ingrat envers Fabrice et le joyeux garçon-barbier du Gil Blas. Enfin, lorsqu’il revendique avec un humour si plaisant son droit aux digressions, en ces termes : « J’ai l’intention de faire dans le cours de cette histoire autant de digressions que l’occasion s’en présentera, ce dont je suis meilleur juge que pas un de ces misérables critiques », son critique et émule W. Scott a encore raison d’invoquer ici l’autorité de Lesage à côté de celle de Cervantès. On pourrait pousser loin le parallèle entre les héros picaresques du Gil Blas et ceux des romans anglais, depuis Joseph Andrews du même