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Ils enlèvent les couvre-bouches et les couvre-culasses de cuir qui protègent les pièces de la poussière des routes. Ils placent les appareils de pointage, vérifient le fonctionnement des manivelles de pointage et de hausse.

Une explosion proche nous surprend dans ce travail. Au-dessus de la batterie, en position là-haut sur les chaumes, un petit nuage blanc flotte au ciel. Il s’élargit, puis s’efface. Et soudain, vers l’arbre en boule, coup sur coup, six shrapnells éclatent encore.

Je sens une anxiété croître en moi, comme si le mouvement de mon sang se ralentissait. Je n’ai pas peur. Au reste, aucun danger immédiat ne nous menace ; seulement, j’ai l’intuition qu’une grande bataille s’engage, qu’il faut s’apprêter aujourd’hui à un rude effort.

L’inquiétude rend les visages graves, rive les yeux sur ce point de l’horizon où les obus tombent à présent sans répit. Certes, on n’avouerait pas cette inquiétude, mais les conversations se ralentissent ; on attend je ne sais quoi, la chute d’un obus ou l’arrivée d’ordres.

En moi-même, je m’excuse d’être anxieux : un baptême du feu est toujours émouvant. L’immobilité sur la route, en colonne, énerve. L’ennemi n’aurait qu’à allonger son tir, pour nous atteindre ici, sans défense.