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Vendredi 21 août.


Nous nous réveillons dans le brouillard. Tout de suite le commandant donne l’ordre de harnacher. Il n’est pas plus de cinq heures lorsque la colonne s’ébranle. Le chemin est défoncé par les passages d’artillerie qui, depuis trois jours, n’ont pas cessé. Nous sommes secoués, sur les coffres, à en perdre le souffle.

Heureusement la colonne avance au pas.

Le brouillard s’est amassé au fond de la vallée où s’allonge la route. À droite, de grands mamelons réguliers se dressent hors des brumes, comme des îles. Je ne peux arracher mes regards de leurs courbes symétriques, délicieusement harmonieuses : les seins de Cybèle.

Puis la route s’attarde à travers une plaine aux ondulations amples comme les grands mouvements de l’océan, les jours de longue houle. Les blés en gerbes la jalonnent à l’infini dans tous les sens. Les arbres sont rares ; quelques peupliers seulement en groupe, parfois en ligne. Le brouillard les masse, unifie la teinte des verdures.

On n’entend aucun bruit de bataille.

Nous croisons des trains régimentaires, des ambulances de corps. L’ennemi est encore loin.