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le civilisé s’efface. Les rapports d’homme à homme deviennent plus rudes. Le besoin de se faire respecter passe au premier plan des préoccupations. On ne s’affirme pas implicitement cette nécessité, mais on agit comme si on l’avait fait. Par ailleurs, le sens de l’autorité se transforme. Celle que le chef tire de son grade diminue tandis que celle qu’il doit à son caractère croît en proportion. L’autorité n’a qu’une mesure : la confiance des hommes dans la valeur du chef. Ainsi notre capitaine, M. Bernard de Brisoult, en qui même les plus frustes d’entre nous ont reconnu sous un grand charme de politesse et de bonté une intelligence et une fermeté rares, grâce à cette confiance, exerce sur tous un ascendant sans limites. Pourtant sa personnalité de chef ne s’impose point dès l’abord. M. de Brisoult ne commande jamais. Il donne ses ordres sur le ton de la conversation. Mais, officier d’une distinction et d’un tact innés, vivant dans l’intimité des canonniers, il reste toujours le capitaine. On ne sait s’il est plus aimé que respecté ou plus respecté qu’aimé. Et les soldats se connaissent en hommes.

Dans les rapports rudes et mâles des artilleurs entre eux, il reste une grande place pour les vraies amitiés ; seulement elles se font plus rares. Les liens de simple camaraderie de quartier disparaissent ou s’affermissent en de véritables pactes inex-