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pas fait bouger. On se demande comment l’ossature de ses hanches n’a pas troué sa peau. Ses flancs, qu’anime un mouvement brusque de soufflet, semblent se rapprocher en arrière des côtes, comme s’ils avaient été vidés de chairs et d’entrailles. Cette bête fait mal à voir. Dans la pénombre d’une allée, un autre cheval abandonné broute encore.

Entre deux bois, un étang luit, rongé de roseaux et de joncs. Les masses sombres des verdures, au second plan, rehaussent l’éclat de ce miroir d’argent. Au loin, les hautes et nobles collines, qui fermaient notre horizon de Ville-devant-Chaumont et que nous avons contournées, font à ces eaux un beau cadre bleuté. Une ferme est là, au bord de la chaussée où passe la route. Dans un petit pré, à côté des vannes de l’étang, à l’ombre d’un bouquet de sureau, il y a une tombe fraîche. On a planté dans la terre remuée une croix faite de deux branches assemblées par une pointe. Une feuille de carnet quadrillée, accrochée à une aspérité du bois, porte un nom écrit au crayon.

Plus loin encore, au sortir de la forêt, nos batteries, jusque-là en colonne, rapidement se déploient au flanc d’un ample vallonnement, disparaissant à moitié dans de hautes avoines où des fantassins, qu’on devine seulement, font passer comme un frisson de vent sur une eau dormante.