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figé toute initiative. Misérable, on a moins à perdre.

Azannes passé, la colonne se fait silencieuse. La route longe le cimetière. Les fantassins en ont crénelé les murs, y ont percé par places des meurtrières au travers desquelles on découvre des tombes, des chapelles et des croix. Des moellons gisent au pied de ces murs dans une poussière de mortier. Plus loin, au bord d’un bois, la prairie a été éventrée ; une étroite tranchée, garnie d’abatis dont les feuilles achèvent de se dessécher, fait, sur le vert somptueux du pré, une grande balafre aux teintes d’ocre rouge éclatante.

On a tendu des fils de fer barbelés en avant de cet ouvrage. L’ennemi n’est donc pas loin.

Dans le roulement monotone des voitures, on se recueille. Cette attente du premier choc comporte une appréhension, une angoisse qu’il faut bien s’avouer. La batterie roule à travers de grands bois. Le contraste est émouvant entre la route, que le soleil de midi fait éblouissante, et les sous-bois obscurs où des allées étroites en ogives ouvrent des perspectives de verdure vertigineuses. Quelle lutte atroce de surprises et d’embûches se poursuit ici entre chasseurs et uhlans !…

Au fossé, un cheval est debout, tête basse. De la gourme coule en filaments visqueux de ses naseaux. Le bruit de l’artillerie qui passe ne l’a