Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la route fait illusion. Des petits nuages blancs qui se forment au bord des collines semblent des fumées d’obus. Un instant on s’y trompe.

Un homme du 130e revient de la bataille, lamentable, sans képi, sans sac, sans armes. Comment s’est-il traîné jusqu’ici ? Ses yeux ont une mobilité égarée. Les artilleurs l’entourent. Mais lui, le dos voûté, la tête branlante, ne répond à leurs questions que d’un seul grand geste de la main ; il murmure :

— Fauchés ! Ah !… Fauchés !…

On n’entend plus rien ; ses lèvres continuent à bouger.

— Fauchés !… Fauchés !…

Il se couche là, à terre, au milieu de nous et, tout de suite, il s’endort, la bouche grande ouverte, le visage douloureux. Deux canonniers le transportent dans une grange voisine.

J’apprends qu’un prêtre de Ville-devant-Chaumont vient d’être arrêté et envoyé à Verdun sous l’inculpation d’espionnage.

Nous profitons du repos qu’on nous laisse pour laver notre linge et pour nous baigner au ruisseau. Puis, nus dans l’herbe, nous attendons en causant que le soleil ait séché nos chemises, nos caleçons et nos chaussettes étalés sur la prairie.