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Nous marchons vers l’est, et, comme la route contourne la masse obscure d’une haute colline, la lune nous apparaît, découpant sur l’horizon de grandes silhouettes de sapins. Bientôt, la batterie s’engage dans des bois sombres où les conducteurs devinent mal la route. Personne ne parle. Parfois, par une éclaircie entre les arbres, brusquement la lune éclaire un homme à cheval. On dirait que cette lumière jaune poudroie. Des cuivres, un quart étamé brillent. L’homme passe, puis d’autres. L’ombre, très nette sur la route, semble faire corps avec la silhouette du cavalier et le grandir. Du reste, de la colonne perdue dans la nuit de la forêt, on ne voit rien.

On nous a dit que l’ennemi n’était pas loin, quelque part dans la plaine, au delà des collines. Chaque croisée de chemins nous fait craindre une erreur qui nous conduirait dans les lignes allemandes. Et puis, cette première marche en campagne, dans la nuit, a vraiment un côté fantastique qui nous émeut.

Aux abords d’un village, la colonne fait halte. Des troupes sont campées de chaque côté de la route. En contre-bas, dans une prairie, un parc sombre contient de l’artillerie ou bien des fourgons. Il fait chaud malgré l’heure ; il n’est pas loin de minuit. Une légère brume voile un peu l’éclat des étoiles. Des soldats débraillés, d’aucuns le torse nu, se dé-