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son ordinaire, un peu lunatique, mais causeur souvent aimable et ami sûr, depuis longtemps le désœuvrement du quartier nous a rapprochés et nous sommes heureux de nous trouver côte à côte au moment d’entrer en campagne.

Entre mon brigadier et le maître pointeur de la pièce, Hutin, au milieu du gigantesque frémissement de la mobilisation et dans l’attente de l’ouragan, je n’éprouve aucune impression d’isolement.

Hutin est un petit homme brun, chevelu et moustachu. De beaux yeux noirs, un peu gouailleurs, éclairent son visage régulier. Énergique, violent, assez ambitieux, vindicatif, rapide à la décision et peut-être avant tout intelligent, capable d’amitié et même de dévouement, j’aime son tempérament spontané et riche.


Sur l’avenue de Pontlieue, on a établi les chevaux de réquisition en bataille sous les platanes. Il y en a des centaines, lourdes bêtes, ventrues et placides à crinières somptueuses et à fanons traînants. Des hommes en blouse les tiennent, immobiles au bord du trottoir, ennuyés par l’attente et par la faim. Il y a encore pêle-mêle, près de là, le long du mur du quartier d’artillerie, des charrettes et des camions dételés au hasard, réquisitionnés aussi.

Des femmes en toilettes claires, des militaires en uniforme ou en treillis, beaucoup ridiculement