Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Me couper le pouce !…

Mon parti est pris. Je saisis sur la table une compresse et une bande. Avec ma main gauche, avec mes dents, sommairement je panse ma blessure et, sans que les majors, absorbés par la ligature d’artère, me voient, je sors de l’ambulance.

À deux kilomètres de Fresnières, à Canny-sur-Matz, je sais que je trouverai les autres ambulances divisionnaires.

Un café reste ouvert sous les obus. J’achète une fiole d’eau-de-vie. Je place mon étui à revolver sur ma hanche gauche, à portée de ma main valide, car la nuit tombe, et souvent, à la faveur des ténèbres, des patrouilles de cavalerie allemande s’infiltrent à travers le réseau des grand’gardes françaises et des petits postes.

La route de Canny fait un long détour. J’irai droit à Canny à travers la campagne. Le clocher en ombre aiguë sur l’horizon incarnat me guide.

Ma main saigne. L’eau-de-vie, que je bois à grandes gorgées, me soutient. Je gagnerai bien la prochaine ambulance.

Sur un champ en pente, près du dôme régulier d’une meule, des fantassins sont couchés. Dans la pénombre du soir, leurs culottes rouges font encore des taches claires sur les chaumes. Un souffle de vent m’apporte une odeur inquiétante. Au sommet de la butte, le bras d’un des soldats