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contre une nouvelle défaillance, à la pensée que bientôt je vais être loin des obus, de la bataille, à l’abri, une lassitude inconnue de la guerre, un besoin de sommeil, de silence, un aveulissement de ma volonté m’envahissent jusqu’aux moelles. Il me semble que, lorsque je serai à l’hôpital, je dormirai pendant des jours et des jours.

Dormir ! dormir, et surtout ne plus entendre le canon, ne plus rien entendre. Vivre sans penser, dans un silence absolu. Vivre après avoir tant de fois failli mourir. Et voilà que, tout à coup, je me rappelle ce que vient de me dire le capitaine de tirailleurs : ma blessure sale, infectée de terre et de sang de cheval. La crainte de la gangrène, du tétanos surtout, de toutes les putréfactions d’hôpital, me saisit à la gorge et m’étreint.

À Fresnières, un gros obus vient de tuer, devant la porte de l’ambulance, un major, une religieuse et quatre blessés. On a rangé les cadavres sur le trottoir. Seul, le corps d’un tirailleur, un géant noir aux bras déployés d’une envergure extraordinaire, traîne encore sur la chaussée effondrée. L’air est plein de lointains sifflements d’obus. Devant ce risque qui demeure suspendu au-dessus de ma tête, alors que je ne peux plus combattre, il me vient une révolte instinctive et puérile. Je ne suis plus du jeu.

Dans la cour de l’ambulance, parmi les bran-