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goisse qui m’entre jusqu’au fond de la poitrine.

— C’est rien, vieux… à la main.

— Je vais te panser.

Mais les obus éclatent sans répit. Je refuse de le laisser se découvrir et s’exposer.

— Filez vite, me dit le lieutenant.

Je prends ma course à travers la prairie, le dos rond, sous la menace de la mitraille.

Mon sang éclabousse mes houseaux, mes cuisses, colle le drap de ma culotte à mes genoux. La balle a projeté, de ma main sur ma poitrine, une étoile rouge de chair et de tendons.

En l’air, des obus bourdonnent.

Au pied d’un peuplier, deux chevaux viennent d’être tués. Je me jette à terre entre les chevaux, dans l’herbe haute teinte de sang. Les shrapnells éclatent. Avec un bruit mat, un grand éclat vient éventrer un des cadavres qui me protègent.

Tout de suite je repars, m’écartant au plus vite de la ligne de feu des 77. Ma main blessée est souillée de terre et de sang de cheval. Comme je franchis une route en remblai, je me trouve brusquement en avant des gueules menaçantes de vingt pièces françaises alignées sur le champ. Il me faut revenir sur mes pas.

Derrière cette artillerie immobile, des tirailleurs marocains sont couchés dans les betteraves. On ne les voit que lorsqu’on va mettre le pied dessus.