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leur émotion. Mais l’angoisse accuse leurs traits, égratigne leur front, vieillit leur visage. Et puis leurs paupières sont bistrées, leurs yeux inquiets et profonds. Leurs regards n’osent pas se poser comme dans la crainte qu’on y lise l’anxiété et les terreurs dont aucune ne peut se défendre. Lorsqu’elles s’en vont, franchissant la petite porte sous les marronniers, après avoir vu l’artilleur disparaître dans un couloir au fond du quartier, tout à coup leur émotion éclate en un gros sanglot qui les surprend. Vite, presque honteuses, un mouchoir en tampon sur les lèvres, elles tournent court dans la rue Chanzy, comme si tous les hommes qui sont là ne comprenaient pas leur peine.


Quatre heures. Je sors avec le maréchal des logis Le Mée : autorisation spéciale du capitaine. Nous allons déposer, dans ma chambre de la rue Mangeard, sa tenue de sortie, des papiers, une valise.

Nous nous préparons à dîner ensemble. J’ai débouché une bouteille de vieux bordeaux. Le Mée me prend le bras :

— Écoutez !…

De la rue, par la fenêtre ouverte, monte un grand murmure. En même temps, quelque chose de magnétique, d’indicible et de précis nous traverse soudain tous les deux. Nous nous regar-