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De l’artillerie passe à présent sur la route, allant aussi vers l’Aisne. On ne la voit pas. On la devine à son cahotement. Lorsque parfois il s’interrompt, on entend un bruit lointain de torrent, un bruit de grandes eaux : c’est l’infanterie en marche quelque part sur un autre chemin du plateau.

Il recommence à pleuvoir.

Aux citernes, nous retrouvons les batteries. Des flots d’hommes déferlent contre les roues de nos voitures. Nous percevons dans les ténèbres l’immense houle de leurs pas.

Je demande :

— Quel régiment ?

Personne ne répond.

— Quel régiment, hé ! l’infanterie ?

Régiment de muets… Ils piétinent contre nous dans la nuit, sans répondre.

— Quel régiment qui passe ? On parle français !

— Cent trois.

— Où allez-vous ?

— On sait pas.

Je répète :

— Où allez-vous ?

Quelqu’un répond encore :

— On sait pas.

Sur des champs de betteraves, on entrevoit au bord de la route des masses d’artillerie, immobiles. Le corps d’armée bat-il en retraite ? Pourtant,