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avenir qui serait venu sans heurt peut-être…

L’aube, je ne sais pas pourquoi, est toujours une heure triste. Mais, à cette tristesse ordinaire, s’ajoute, les matins de bataille, l’angoisse de ce que le jour, qui ne fait que naître, comportera de terrible et peut-être de définitif. Les regrets, les craintes s’enchaînent en un cercle obsédant de pensées qui se répètent.

Vivre ! vivre encore ce soir, et pourtant, vaincre d’abord ! Empêcher l’ennemi d’aller là-bas, chez nous, protéger avant tout les êtres faibles et chers qui sont derrière nous, dans la France, et dont la vie nous est plus précieuse que la nôtre. Être vainqueurs ! Être vivants ce soir !


La batterie prend de nouveau position près de la ferme incendiée qui fume encore ; l’échelon retourne à son ravin.

Je souffre de mon poignet. Le major veut m’évacuer, mais je préfère rester ici au repos quelques jours encore et retourner ensuite à ma pièce.

La pluie se met à tomber en averses. Au bord d’un champ de luzerne, un des chevaux, que nous avons dû abandonner hier, se roule dans les convulsions de l’agonie. La paille que nous avions apportée ici, hachée par les roues des voitures, par le piétinement des hommes et des chevaux, fait, avec l’eau et la boue qui séjournent dans ces