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boue, d’un bruit confus de voix et de souffles emplit les ruelles au pavé gras.

Un petit café, près duquel un obus est venu ce soir trouer la chaussée, est plein de tringlots, de marsouins et de zouaves.

Des bouteilles, une cruche, des verres sur le comptoir masquent à moitié la lampe de cuivre sans abat-jour, portent à travers l’étroite salle enfumée et sur les murs de grandes ombres difformes.

On parle haut, on rit, on boit surtout. Il y a encore ici des liqueurs et du rhum. Les soldats, très las, tout de suite sont gris d’alcool, de tabac et de récits de guerre.

Dans l’immense fatigue nocturne, parmi les milliers d’hommes étendus partout, dans les granges ou sur la terre nue, endormis aussi profondément que les morts que la mitraille vient de coucher sur les champs, ce coin où il y a un peu de clarté, un peu de chaleur et beaucoup d’oubli, est un vrai refuge.

On a trouvé pour nous une bouteille de champagne. Jamais la mousse du vin ne m’avait semblé aussi délicieuse.

Au cantonnement, lorsque nous rentrons, personne ne dort encore. Malgré les plaintes des artilleurs, les fantassins du Midi s’interpellent, jurent, laissent la porte ouverte…