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prendre des habitudes ici. La soupe, l’abreuvoir se font à heures fixes.

Ce matin, je rencontre aux citernes un singulier abbé. À cheval sur la route, il pérore au milieu d’un groupe d’artilleurs et de tringlots. Il est botté, éperonné. Un grand collet de caoutchouc, qu’une bride maintient à ses épaules, flotte sur la croupe de sa monture. Une grande croix de bois pend de son cou sur la courroie vernie de son étui à revolver. Il a passé à sa large ceinture noire une baïonnette allemande.

Debout sur ses étriers, ce prêtre, à allure étrange de moine guerrier, caresse l’encolure de son cheval.

— Oui, c’est une bonne bête, dit-il, un cheval de uhlan que j’ai trouvé après la bataille de la semaine dernière, du côté de Nanteuil. J’allais confesser des gens. Il était abandonné, je l’ai pris. On est mieux comme ça qu’à pied.

Et il ajoute :

— Il m’a sauvé la mise avant-hier… J’étais allé aux avant-postes où l’on s’était battu et où j’avais entendu dire qu’on avait affaire à moi. J’étais tout seul. J’ai rencontré une patrouille de uhlans. Ils m’ont tiré… ils m’ont manqué. J’étais en colère de ne pas pouvoir aller où je voulais ; alors, en tournant bride, je leur ai envoyé un coup de revolver. Je n’aurais pas dû, n’est-ce pas, dans