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Mardi 15 septembre.


Quel beau matin ! Il a plu un peu cette nuit, mais nous avions apporté, autour de nos pièces, de la paille prise à brassées dans de grandes meules. Je me suis couché sous le caisson ; il me protégeait jusqu’à mi-cuisses et j’avais délié deux gerbes sur mes pieds. La terre n’était pas trop humide. J’ai bien dormi malgré l’ondée.

Dès l’aube, le ciel s’est rasséréné. L’air est tiède ; les grands arbres du parc, aux verts infiniment variés, se découpent en silhouettes très pures sur le bleu atténué du ciel. L’herbe, pourtant rase à cette fin d’été, a retrouvé de la fraîcheur.

Mais, çà et là, sur les champs, des points sombres arrêtent le regard. Ce sont des cadavres d’Allemands. Une fois qu’on en a vu trois, quatre, invinciblement le regard en cherche partout. Une gerbe oubliée au loin figure un mort.

On part. Les roues des voitures précédentes sur la campagne tracent un véritable chemin. Au bord, un Allemand est étendu. Des attelages l’ont frôlé. Si l’on n’y prenait garde, on écraserait ses pieds. Son visage est encore d’un jaune céruléen. À peine les orbites de ses yeux clos com-